Agir et penser le quotidien : pour une sociologie du réel-en-devenir

Le quotidien ne se réduit pas aux réalités de première évidence – aux réalités réalisées, aux réalités instituées – mais il incorpore aussi de nombreuses réalités « empêchées » (ce qui ne se fait pas, ce que l’on nous empêche de faire) ou « espérées » (ce qui reste à faire, ce que l’on désire faire), voire des réalités « cachées » (ce que l’on fait malgré tout et que l’on ne montre pas). Le quotidien se structure donc à de multiples niveaux de réalités : l’advenu et le non-advenu, le déjà-présent et le encore-en-attente, l’abouti et le tendanciel, le fait et le encore-à-faire, l’existant et le potentiel… La sociologie doit donc s’engager à cet endroit précis, sur cette ligne de tension, à ce point de basculement, à savoir le moment où la réalité hésite, où l’institué est débordé par l’instituant, où les possibles et les tendances affleurent…

J’ai eu l’occasion d’explorer cette sociologie du non-encore-advenu dans le cadre du projet Expéditions. À l’issue de l’expérience des Correspondances citoyennes en Europe (Cf. le journal de recherche que j’ai tenu au cours de ce travail : Carnets de correspondances / Cuaderno de correspondencias, éd. Fulenn, 2011), nous avons relancé un nouveau projet, Expéditions, à l’initiative de Romain Louvel (artiste plasticien), avec l’envie d’approfondir la collaboration entre pratiques sociales, artistiques et de recherche. Nous retenons pour thème l’expédition : des explorateurs (enfants, pédagogues, artistes et chercheurs) partiront collecter et décrire des éléments du quotidien en utilisant divers procédés (peinture, photographie, dessin, journal de bord, cartographie, enregistrement sonore ou vidéo) comme s’ils observaient une société étrangère à la société dans laquelle ils vivent et dans laquelle leur esprit s’est formé, comme s’ils étaient des explorateurs du 18ème siècle découvrant une ville inconnue. L’objectif du projet est de ré-interroger les présupposés concernant la vie quotidienne dans les quartiers dits « populaires » et de réinvestir le motif de l’expédition ethnographique pour bien sûr le déconstruire, y compris sur le plan de l’actualité des attitudes parfois néo-coloniales dans nos disciplines (art, recherche, éducation).

Au moment où le projet se dessine, Romain Louvel et Nicolas Combes me demandent de « positionner » la contribution possible d’une recherche en science sociale. Comment la sociologie se saisit du quotidien ? Comment le met-elle au travail ? C’est ce texte d’orientation que je reprends ici.

Agir et penser le quotidien : pour une sociologie du réel-en-devenir

Les « experts » des politiques sociales (en charge des diagnostics sociaux), mais aussi les chercheurs en sciences sociales, portent trop souvent un regard misérabiliste sur la vie quotidienne en l’abordant exclusivement à partir d’indicateurs socio-démographiques réducteurs (seuil de revenu, taux de chômage…) ou de catégories de politique publique disqualifiantes (violence urbaine, échec scolaire…).

En quoi le fait de nommer quelqu’un « pauvre » ou « chômeur » nous informe un tant soit peu sur sa vie, ses désirs, ses capacités ?

En quoi le fait de parler de « quartier sensible » nous informe sur ce que les personnes y investissent et y construisent ?

Ce que cette « expertise » officielle risque de ne pas voir – ou refuse de voir – c’est la force de résistance, la capacité de création et l’inventivité dans le rapport aux normes dont font preuve les personnes ou les communautés. Le quotidien n’est jamais un état de survie ; il est toujours un « rapport à la vie » qui inclut une multiplicité d’arts de faire et une capacité de transformation (adapter, moduler, transgresser, contourner, fuir, contredire…).

Un texte caché

En matière de recherche, il s’agit donc d’éviter de se focaliser sur les réalités les plus évidentes et les plus accessibles car, même « vraies », elles masquent toujours un « texte » caché, celui des luttes et des créativités ordinaires, puissantes, d’autant plus puissantes qu’elles agissent silencieusement, hors de l’emprise des regards institutionnels. Comme l’écrit James C. Scott [1], les « subordonnés » et les dominés possèdent toujours une vie autrement plus créative que ne le soupçonnent les dominants – une vie qui préserve sa créativité justement parce qu’elle a appris à se tenir à distance des logiques dominantes, loin des regards qui la scrutent, en dehors du contrôle immédiat des institutions. Il n’est pas si simple de contester et de s’opposer ouvertement et il est donc d’autant plus essentiel de préserver des espaces à l’abri desquels chacun a tout loisir de marquer ses désaccords, de vivre ses différences. Tout groupe dominé compose toujours son « texte » propre, autonome, en coulisse, indépendamment de ce qu’il rend immédiatement visible et accessible et ce texte reste habituellement caché aux yeux du dominant (le sociologue, le politique, le travailleur social, l’enseignant…). Ce texte est composé de pratiques, de langages et de gestes. Il est toujours le lieu d’une dissidence. Ce à quoi nous invite aussi le livre de James C. Scott c’est à une interrogation sur nos propres appartenances de dominé et de subalterne, sur nos appartenances à chacun en tant que femme, en tant qu’artiste non médiatisé, en tant que transgenre, en tant que professionnel d’une petite association sans ressources financières, en tant que sociologue non académique, en tant que précaire, en tant que noir ; et, conséquemment, son livre nous encourage à interroger ces « textes cachés » qui sont avant tout les nôtres. Le chercheur en sciences sociales ne doit donc jamais oublier cette grande leçon de vie et de résistance : ce qui s’offre à lui, à première vue, lui est parfois savamment donné à voir par ses interlocuteurs. Ce qu’il observera et collectera de plus « vrai » et de plus « représentatif » pourrait ne bien être qu’un petit théâtre intelligemment mis en scène pour mieux maintenir à distance d’autres pratiques et expériences, autrement plus investies.

Un « extraordinaire »

Dans la filiation des travaux pionniers d’Henri Lefebvre [2], il est bon de rappeler que le quotidien est tout à la fois et contradictoirement le lieu des continuités, des routines et des normalités et le lieu des ruptures, de l’extraordinaire et des transgressions. Il se développe toujours dans cette tension. Il peut basculer à tout moment. Il est fondamentalement ambivalent. Dans l’instant présent, il peut se montrer parfaitement ennuyeux et routinisé et l’instant d’après réserver la plus extraordinaire des situations ; il suffit pour cela qu’un grain de sable s’introduise dans le cours ordinaire des choses. Henri Lefebvre a toujours tenu compte de cette puissance critique du quotidien. Il est rare d’entrer publiquement en rébellion. Mai 68 ne se reproduit pas à toutes les générations. Mais il est fréquent de le faire dans la vie quotidienne car c’est bien sur ce plan-là que nous « osons » le plus, que nous dérogeons, que nous transgressons. La vie quotidienne est vraiment une promesse ; elle réserve du possible. C’est un formidable terrain de jeu. Et c’est bien ce « terrain de jeu » qui doit devenir le « terrain de recherche » du sociologue ou de l’ethnologue. Le chercheur en sciences sociales se trompe s’il ne retient du quotidien que son caractère le plus ordinaire et qu’il omet d’en explorer les réalités imprévues, intempestives, extraordinaires. Le travail de recherche doit donc tenir compte de cette portée disruptive et critique de la vie quotidienne (une bifurcation peut toujours subvenir) et ce positionnement de recherche le met dans l’inconfort car il ne pourra jamais évaluer définitivement la teneur de ce qu’il observe. Le quotidien doit nécessairement être investigué du point de vue de ses routines et de ses continuités (son ordinaire) et, pareillement, du possible qu’il réserve, des incongruités qui ne manquent pas d’apparaître et des ruptures qui surviendront nécessairement (son « extraordinaire »). Le sociologue doit accepter que son « objet » de recherche (un comportement, une situation, une routine, une norme) reste continuellement sous tension, en déséquilibre. Le confort académique l’incitera à se préoccuper de ce qui peut être facilement délimité et caractérisé, à savoir la dimension ordinaire du quotidien. Une recherche plus libre se réjouira de se mettre au travail sur ces points de déséquilibre, à ces moments de basculement, dans ces occasions où le quotidien se fissure et bifurque et laisse entrevoir un possible, une opportunité, un « extraordinaire ».

Une réversibilité

Nous retrouvons la force de cette ambivalence dans les thèses que Judith Butler [3] consacre à la question des normes. Judith Butler insiste sur le fait que la norme nous est indispensable pour vivre mais qu’elle devient immédiatement menaçante dès que nous nous mettons à vivre à partir d’elle car la norme menace d’étouffer ce qui nous construit pourtant fondamentalement, à savoir notre singularité, la singularité de chacun de nos modes de subjectivation. Le respect de la norme et la désobéissance à cette même norme composent notre rapport à la fois paradoxal et riche aux processus normatifs. Nous en avons besoin, nous en dépendons et pourtant nous devons nous en défier et en permanence prendre nos distances pour préserver notre autonomie. Plutôt que de se lamenter sur cette contradiction dont nous ne pouvons pas nous défaire, Judith Butler y découvre au contraire une formidable opportunité, à savoir l’existence au cœur du processus normatif d’un potentiel de politisation, l’affirmation à l’intérieur même du processus de normalisation, en raison de son caractère contradictoire, d’une « subjectivité » subversive, en capacité de « travailler » la norme de l’intérieur et par l’intérieur, en capacité de la destituer là même où elle agit. Dans une inspiration fortement foucaldienne, Judith Butler souligne l’inévitable réversibilité des réalités normatives ; elle sont pareillement sources d’obéissance et de désobéissance, en fonction du processus de subjectivation engagé. Selon le rapport qu’on engage à la norme, la perspective peut être radicalement transformée. En tant que chercheur, ce qui m’intéresse dans cette approche défendue par Butler, c’est le retour sur le devant de la scène de la question de l’engagement, à savoir ce que nous convenons de faire collégialement vis-à-vis du cadre normatif dans lequel nous inscrivons notre existence. Elle réintroduit la question du « choix » ; elle réouvre du possible. Entre le discours totalisant de l’asservissement et celui pas moins absolu de la liberté (tout aussi inhibant et enfermant), il est possible de se frayer un chemin émancipateur. Isabelle Stengers, dans une heureuse formulation, restitue bien cet enjeu politique [4] : Stengers nous engage à construire en commun, sur un mode autonome, des dispositifs (le point de vue du « singulier ») qui, en retour, nous obligeront collectivement, nous obligeront les uns en rapport aux autres (le point de vue de la « norme »).

Un grand « reste »

Enfin, il est important de conserver en mémoire l’un des grands enseignements de Michel de Certeau [5], à savoir que personne n’est jamais complètement assujetti – passivement assujetti – à la condition qui lui est assignée. Il aura montré, à l’encontre d’une vision sommaire et inutilement catastrophiste, que le consommateur, par exemple, conserve toujours sa capacité de détournement et de transgression. Le consommateur invente, peu ou prou, un usage approprié au bien qu’il vient d’acquérir et ne se laisse pas gouverner sa conduite par un mode d’emploi. Michel de Certeau l’aura aussi parfaitement illustré à propos des pratiques urbaines et des usages de la ville, qui ne sauraient en aucune façon se résumer à la simple assimilation d’une fonctionnalité, au simple respect d’un usage attendu ou prescrit. Les urbanistes posent des formes, les personnes et les communautés en disposent, possiblement, potentiellement. Il y a toujours une part de créativité – qui se nomme aussi « résistance » – qui insiste et persiste. Si je généralise ce point de vue de méthode, je dirais qu’il existe toujours un espace (un intervalle, un interstice) entre ce que vit la personne et ce que la société lui adresse (comme assignation, prescription). Cet espace mérite d’être travaillé, questionné, élargi, complexifié. Se réalise ici un authentique apprentissage social, un apprentissage de l’autonomie, une capacité à renforcer sa prise d’initiative (qui est toujours aussi une prise de parole). Et il est fondamental pour le sociologue de s’intéresser à ce type de dynamique. À la question sociologique habituelle du type « qu’est-ce qu’un pauvre ? Qu’est-ce qu’un étranger ? Qu’est-ce qu’un habitant ? », je substituerais bien volontiers celle-ci : « Je suis pauvre… et après ? Je suis étranger… et après ? Et avant, et à côté, et par-dessus et par-dessous et par ailleurs et malgré tout ? ». Méthodologiquement, ce qui me préoccupe c’est vraiment le grand « reste ». Et là je rejoins à nouveau Henri Lefebvre (pour rappel, un de ses livres charnière s’intitulait « La somme et le reste » [6]). Quand j’ai sociologiquement analysé tout ce à quoi mes compétences me qualifient habituellement, il me reste quoi sur les bras ? Certainement l’essentiel ! Ce qui n’est pas si facilement accessible à la description et à la formalisation mais qui peut relever d’un travail d’explicitation, de signification et de formulation, à savoir cette action du malgré tout, du au-delà et de l’en deçà (l’empowerment, l’autonomie, la créativité sociale). Isabelle Stengers s’est interrogée sur le devenir de ce grand « reste ». Elle souligne que lorsque la science s’interrompt, son œuvre réalisée, il demeure un « résidu », quelque chose qui lui échappe, quelque chose qui n’est ni à sa mesure ni à sa grandeur. Stengers pose alors la question : qui dispose de ce « reste », qui s’empare de ce « silence » maintenant que la science a fini de parler ? La médecine explique pourquoi nous guérissons… jusqu’au point où cette guérison implique des variables sur lesquelles elle ne se prononce pas, soit parce que modestement elle a conscience de ses limites, soit orgueilleusement parce qu’elle ne veut pas s’abaisser à prendre en compte ce qui ne s’inscrit pas dans les règles d’un savoir formalisé [7]. Puisque la plupart des chercheurs abandonnent la partie au bord de ce grand « reste », en bordure de ce « silence », alors il peut être grandement intéressant, a contrario, d’engager la partie sociologique à ce moment-là, et de l’engager bien sûr à nouveau compte. Il s’agit de concevoir un travail sociologique qui commence au moment où la recherche académique interrompt le sien.

Un non-encore

Ce mode de théorisation du quotidien ne peut naturellement pas se satisfaire d’une méthodologie qui tient son « objet » à distance et prétend porter un regard objectivé sur les réalités. La recherche risque sinon de n’accéder, au mieux, qu’à certaines dimensions de la quotidienneté, les plus immobiles et les plus routinisées, donc les plus « visibles », au pire qu’à l’apparence des choses, à ce que les personnes explicitement ou implicitement conviennent de lui laisser voir. La recherche doit donc adapter ses « méthodes » à la complexité et à l’ambivalence de son « objet » ; elle doit se préoccuper des ruptures, événements, détournements, transgressions qui forment tout aussi fondamentalement la trame du quotidien. Et, pour ce faire, elle construit un rapport « actif et agissant » à ces réalités. C’est parce qu’elle « agit » ces réalités – qu’elles agit avec ces réalités – qu’elle parvient à les comprendre. C’est parce que la recherche met en mouvement ces réalités, c’est parce qu’elle se met elle-même en mouvement avec ces réalités, qu’elle pourra les découvrir dans un moment d’hésitation, de déséquilibre ou de bifurcation, et qu’elle pourra (peut-être !) entrevoir les possibles, les devenirs, les résistances et les créativités dès à présent à l’œuvre.

La sociologie dominante est une sociologie de l’advenu et du réalisé… et bien souvent, et plus tristement encore, une sociologie de ce qui a été institué et formalisé, en particulier par les politiques publiques. Dans le cadre de notre projet, j’ai bien sûr envie d’expérimenter une sociologie du non-encore-advenu, à savoir une sociologie qui se préoccupe des processus-encore-au-travail, qui s’intéresse aux devenirs. Il s’agit de tenter un changement de temporalité. De se risquer à ce changement. Il s’agit de retenir l’hypothèse que le non-encore (le devenir) est tout aussi « réel » que les réalités abouties. Prendre le parti du « réel en devenir » et pas uniquement celui du « réel réalisé ». Il s’agit bien, à mes yeux, d’un choix politique, le choix du possible et de l’ouverture mais un possible et une ouverture dès à présent au travail dans les situations, un possible qui émerge, une ouverture qui s’esquisse, un possible et une ouverture en devenir, avec ce que ce devenir comporte d’aléatoire, d’inattendu et d’indéterminé. Je reste sur le terrain d’une sociologie. Je ne me réfère pas à un possible « simplement » espéré, ni à une ouverture imaginée, désirée… Je conçois, ici, le réel comme constitué tout à la fois de ce que l’histoire a fait advenir et de ce que cette même histoire réserve comme possible et comme non-encore ou « pas tout à fait ». Et ce « non-encore » est évidemment l’œuvre des personnes et des communautés, la résultante de leur créativité et de leur résistance, de leur capacité à réengager des processus là où la société ne voudrait voir que de l’acquis et du définitif.

Dans cette perspective, le « motif » méthodologique proposé par Romain Louvel, la « provocation expérimentale », me paraît particulièrement fécond (il présente cette démarche sur son site : http://assortiment2.free.fr).

Une perturbation

Je dirais que, dans ce projet, nous partageons, artistes, pédagogues ou chercheurs, un même motif méthodologique (provoquer une réalité pour en découvrir, avec les personnes concernées, les possibles, les marges, les inattendus et malentendus…) et, à partir de ce geste effectué en commun, nous pouvons nous mettre au travail, chacun de manière spécifique, en fonction de ses attentes et préférences, selon les perspectives qui l’intéressent (éducatives, sociologiques, artistiques, sociales, politiques…). Il s’agit donc de provoquer une réalité, de réaliser ce geste bien évidemment en interaction et en association (en accord) avec les personnes et communautés concernées, et, dans la foulée, de se mettre au travail (se mettre en réflexion et en création) collégialement à partir des processus qui s’amorcent. C’est, à mes yeux, le bon « endroit » pour engager le travail de recherche, au moment où nous mettons volontairement en déséquilibre et en hésitation une réalité de vie.

Il conviendra de voir ensemble comment « techniquement » réaliser cette « provocation expérimentale ». Le chercheur doit y contribuer. Il dispose d’une technicité qu’il doit pouvoir mobiliser pour la réalisation de ce « geste ». Souvent, les chercheurs en sciences sociales manquent de créativité et d’audace sur ce plan strictement « technique » ; les outils de la recherche sont au final assez limités. On en a vite fait le tour : l’entretien semi-directif, le questionnaire, l’observation… Ce projet peut être l’occasion d’élargir la palette des instruments de recherche.

Si je propose une sociologie du « non-encore », alors je suis confronté à une question malcommode : qu’est-ce je peux collecter ? À quoi puis-je accéder ? Sur quoi porte mon regard ? À quoi suis-je confronté concrètement ? Qu’est-ce que je restitue ? Comment donner forme à ces « non-encore », à ces processus, à ces devenirs ? Comment matérialiser, manifester, formuler toutes ces réalités en devenir ? Je retiens une première idée – une idée qui fait écho au travail de François Deck [8], à savoir l’élaboration et la mutualisation de questions. La question peut représenter une des formes possible du devenir, une forme possible de mise en mots d’un processus. C’est une première piste ; d’autres émergeront au cours de l’avancée du projet. Les chercheurs impliqués dans le projet vont devoir se pencher sérieusement sur cet enjeu et, donc, imaginer des formes possibles qui permettent de rendre compte d’une réalité-encore-en-émergence.

Pascal NICOLAS-LE STRAT, 8 avril 2012

[1] James C. Scott, La domination et les arts de la résistance (Fragments du discours subalterne), éd. Amsterdam, 2008 (Tr. de l’anglais par Olivier Ruchet).

[2] J’ai bien sûr en tête sa trilogie Critique de la vie quotidienne, éd. de l’Arche.

[3] Voir, par exemple, Humain, Inhumain. Le Travail critique des normes (Entretiens), éd. Amsterdam, 2005 (Tr. de Jérôme Vidal et Christine Vivier).

[4] Isabelle Stengers, La vierge et le neutrino (Les scientifiques dans la tourmente), Les empêcheurs de penser en rond, 2006, p. 267 ; voir également Philippe Pignarre et Isabelle Stengers, La sorcellerie capitaliste (Pratiques de désenvoûtement), La Découverte, 2007.

[5] Dans son ouvrage devenu classique L’invention du quotidien – 1. Arts de faire, Gallimard, coll. Folio, 1990.

[6] La somme et le reste, Économica, 4e éd., 2009.

[7] Isabelle Stengers, L’invention des sciences modernes, La Découverte, 1993, p. 32-33 ; Sciences et pouvoirs (La démocratie face à la technoscience), La Découverte, 1997, p. 95 et sq.

[8] Je pense en particulier à son dispositif « Banque de questions ». cf. Karine Vonna, « Une banque de questions », revue Mouvements, 199, en ligne : http://www.mouvement.net/critiques/critiques/une-banque-de-questions/.