Quand il introduit son travail, un chercheur en sciences sociales prend soin de toujours préciser son cadre théorique et son outillage méthodologique. Mais jamais, ou très rarement, il ne tente de caractériser sa façon personnelle d’investir ces cadres et de mobiliser ces outils. La façon, qui lui est spécifique, d’exercer son activité est peu ou pas questionnée. Ce qui fait la singularité de ses gestes de métier est rarement explicité et soumis à discussion. Les gestes du chercheur•e et les gestes de la recherche sont les grands oubliés des travaux en sciences sociales. Et, pourtant, chaque chercheur•e développe ses habiletés et ses dextérités, il affûtent ses compétences, il cultive ses capacités. Un geste de métier vient « dire » une façon personnelle de faire ce que l’on fait. Il laisse transparaître un phrasé particulier dans le maniement d’un concept, un accent, un ton, une musicalité. Il signale, voire signe, un style. Il convient donc de lever le couvercle des pratiques pour accéder à la finesse des gestes, à leur réglage, à leur mise au point. Un geste s’établit grâce à un long processus d’essais / erreurs, après beaucoup de tâtonnements. Il ne s’apprend pas mais s’entraîne : il s’exerce, sans relâche, dans une bagarre sans fin avec soi-même. Il signe le temps long du métier, le temps nécessaire pour accéder à une relative « maîtrise », qui sera remise en cause dès le chantier suivant, perturbée par le surgissement d’un nouveau questionnement.