La constitution du « commun » et la construction de « communs » sont des questions politiques dès à présent largement ouvertes. La recherche d’alternatives à l’emprise du marché et de l’État est au cœur des mobilisations contemporaines, que ce soit, par exemple, lors du mouvement des occupations en 2011 (Occupy Wall street) ou dans la dynamique du mouvement Podemos en Espagne. Ces questions sont posées de manière éminemment concrète, tout en intégrant de très fortes ambitions politiques. Elles se formulent de manière globale à l’occasion des mouvements sociaux mais pareillement de manière située, à l’échelle et à la mesure de nombreuses expérimentations sociales. Ce sont ces expérimentations qui m’intéressent ici. Elles sont de nature très diverse et concernent aussi bien le domaine informatique (l’expérience de Linux est devenue emblématique), que celui des biens communs de la connaissance [1], comme celui des pratiques artistiques de co-création, sans oublier le renouveau des communs de subsistance, y compris avec des pratiques de maraîchage ou de jardinage urbain.
Parler d’expérimentation à propos de ces pratiques ne signifie pas que leur destin est de rester ponctuelles, qu’elles demeureront forcément exceptionnelles et qu’elles ont donc vocation à faire exemple sans s’inscrire dans la durée ni structurer la vie sociale. L’expérimentation peut tout à fait se concevoir comme le régime « normal » et ordinaire d’une politique du commun. Dès lors que « commun » vient nommer la volonté des individus à s’assembler pour développer ensemble, sur un mode autonome, leur projet de vie et d’activité, alors ce commun ne cesse d’être expérimenté. Il n’est jamais définitivement acquis. Il est constamment remis en chantier et réinstallé sur l’établi de nos désirs et de nos utopies. « Commun » existe alors fondamentalement sur le mode de l’expérimentation. Sans cesse, il convient de réinterroger, d’explorer, d’imaginer, de réinventer… Dès qu’un commun s’institue trop fortement, dès qu’il se fige et se raidit, alors il risque d’entrer dans une routine et de négliger peu à peu ce qui a motivé son instauration. Il s’expose alors à devenir insensiblement et insidieusement l’affaire de quelques uns – de ceux qui prétendent avoir l’expérience pour diriger, l’autorité pour négocier (avec le décideur public, par exemple), la compétence pour faire, la disponibilité pour gérer ; de ceux qui se mettent à faire à la place des autres, et inévitablement contre eux ; de ceux qui, très vite, se détournent de l’intérêt commun en faisant valoir leurs intérêts particuliers. Le commun voit progressivement « privatisés » son fonctionnement et son usage. Il voit revenir en force les dispositions les plus classiques et les plus discriminatoires à l’œuvre au sein de la société, à savoir les inclinaisons verticales, dirigistes et technocratiques. Si le vingtième siècle peut être désigné comme le siècle des chefs [2] et se dévoiler comme le règne de la division verticale entre ceux qui savent et ceux qui obtempèrent, entre ceux qui dirigent et ceux qui exécutent, il est par contre possible d’espérer que l’expérimentation de nouvelles façons de se rapporter les uns aux autres, engagée dans une multitude de communautés et de « communs », annonce pour le siècle en cours d’autres possibles, plus égalitaires, plus latéraux et transversaux. « Commun » vient nous dire qu’il est possible d’agir ensemble sans s’en remettre à une avant-garde, à un intellectuel (nécessairement) éclairé ou à une direction (évidemment) compétente.
La portée constituante d’une politique de l’expérimentation
Un commun est fondamentalement inappropriable, en tout cas dans son principe, mais, dans les faits, il restera inappropriable – et demeurera donc entre les mains de tous – à condition d’être conçu et vécu sans relâche en ces termes, à condition de rester inventif et offensif, à condition de relancer avec passion son projet démocratique, à condition d’insister et de persister dans son idéal de collégialité et d’autonomie. Il persiste dans son « être » de commun grâce à une politique d’expérimentation qui ne se fléchit pas. En formulant cette hypothèse, j’ai conscience du défi méthodologique et intellectuel qui est posé aux collectifs concernés. Dès que le collectif baisse la garde, les modèles institutionnels dominants reprennent inéluctablement le dessus et (ré)imposent leur imaginaire et leur fonctionnalité. Pour inventer le commun des hommes, selon l’heureuse formulation de Toni Negri, il faut avant tout le réinventer. Un commun se réengage. Il s’expérimente. Il s’éprouve. Il ne subsiste que s’il s’incarne avec pugnacité et opiniâtreté dans de nouveaux dispositifs. La construction d’un commun appelle cette réinvention (cette révolution) permanente.
Comme le souligne David Bollier, les communs consistent « en la combinaison d’une communauté déterminée et d’un ensemble de pratiques, valeurs et normes sociales mises en œuvre pour gérer une ressource. Autrement dit, un commun, c’est : une ressource + une communauté + un ensemble de règles sociales. Ces trois éléments doivent être conçus comme formant un ensemble intégré et cohérent. De ce point de vue, la question n’est pas de savoir si telle forêt ou tel corps de savoir est un commun. La question est de savoir si telle communauté souhaite gérer une ressource comme un commun, et si elle est capable d’inventer les règles, les normes et les sanctions pour s’en assurer. Il devient alors intéressant de se demander jusqu’où ces principes peuvent être appliqués : quelles sortes de ressources inattendues peuvent se trouver gérées comme des communs ? » [3]. Jusqu’où peut nous entraîner cet idéal du commun ? Je n’y vois aucune limite, d’aucune sorte. Des communs surgiront et s’établiront partout où nos politiques d’expérimentation les porteront.
Dans quelle mesure un collectif impliqué dans une coopération est-il en capacité de la redéployer ? De lui ouvrir un nouvel horizon de sens ? Et, en définitive, de l’actualiser à nouveau compte ? Une politique de l’expérimentation [4] met le collectif à l’épreuve de sa propre dynamique, de sa propre situation. Le collectif chemine dans son projet hypothèse après hypothèse. Il teste un dispositif, risque une proposition, vérifie un protocole, éprouve un cadre d’analyse. Une politique de l’expérimentation vient aiguillonner cette faculté à agir et à penser. Elle la sollicite, la stimule, la manifeste. Chaque nouvelle hypothèse (l’introduction d’un nouveau dispositif ou d’une nouvelle disposition) crée l’événement – elle fait événement – et cet événement ré-ouvre la situation. Il la redéploie mais ne la redéfinit pas. Il ne détermine rien de définitif. Il esquisse une orientation mais sans la délimiter. Il amorce une évolution mais sans l’orienter. L’événement survient – une décision entre dans les faits, un nouveau protocole de fonctionnement est adopté – et la situation s’en trouve perturbée, le collectif significativement affecté. Cette dynamique est voulue et désirée, elle n’en demeure pas moins éprouvante. Elle expose le collectif à une forte incertitude car elle n’inclut ni explicitement ni implicitement ses solutions. Cette dynamique « oblige » le collectif au sens où il devient tout à la fois explorateur et témoin des processus qui s’ébauchent – des processus qu’il a désirés mais qu’il ne maîtrise jamais complètement, des processus en lesquels il espère mais qui lui réservent beaucoup d’inconfort. Il pense et agit à l’épreuve de ses propres initiatives. En ce sens, une politique de l’expérimentation instruit et construit le collectif car elle l’oblige à investiguer les nouvelles réalités qu’il fait advenir, à les explorer et à les analyser. Elle porte le collectif toujours plus avant. Elle le met à l’épreuve de ses propres idéaux et de ses propres possibles.
Cette politique de l’expérimentation amorce donc une chaîne de re-significations et de ré-interprétations [5]. Elle ne contraint pas, ni ne détermine. Elle éprouve et « oblige ». Elle agit comme intercesseur entre un désir et sa réalisation, entre une espérance et sa manifestation – un intercesseur exigeant et insistant. Elle se glisse entre l’espoir que le collectif met dans son projet et la situation dans laquelle il s’implique. Elle opère un déplacement entre des intentions affichées et le contexte dans lequel elles vont prendre vie et prendre corps. Elle introduit un point de vue décalé à partir duquel la situation peut être repensée. Chaque nouvelle hypothèse opère donc un déplacement à l’intérieur de la situation et peut, alors, opportunément servir de point d’appui pour agir. Elle fait différence. Elle provoque une bifurcation. Mais cet enchaînement de re-significations et de ré-interprétations peut s’interrompre aussitôt qu’esquissé et ce point d’appui, céder à peine établi. L’hypothèse représente donc un espace-temps intermédiaire, introduit « artificiellement » et « fictivement », mais qui provoque de solides effets de réalité, tant du point de vue du collectif qui peut s’en trouver renforcé aussi bien que fragilisé, que de la situation concernée qui est susceptible de s’ouvrir à des possibles comme se crisper sur son existant. Une politique de l’expérimentation nous oblige à agir sur la base de cette indétermination et à puiser dans cette indétermination les meilleurs motifs pour aller de l’avant – pour explorer à nouveau compte nos propres projets, pour reparcourir la situation en quête de soutiens et de ressources, pour réviser une orientation en regard des coopérations et des échanges qui se forgent ou se délitent. L’hypothèse entretient un doute et une indécision qui représentent autant de motifs pour agir, autant d’intéressements à agir.
Un travail du commun ne trouve pas meilleure définition que cette épreuve, sans cesse ré-ouverte – une épreuve revendiquée et assumée, une épreuve féconde et constructive –, cette épreuve qui met le collectif au défi de ses propres idéaux, cette épreuve qui engage le collectif à la mesure des nouvelles hypothèses de fonctionnement qu’il est en capacité de formuler et d’introduire au cœur de son activité, cette épreuve qui instruit le collectif sur ses propres potentialités, cette épreuve qui oblige le collectif à explorer ses propres réalités comme s’il s’agissait à chaque fois d’un terrain inconnu. Le collectif en sort « grandi ». Il est plus assuré de ses projets. Le « commun » auquel il aspire prend forme au fur et à mesure de ces épreuves engagées.
La pluralité constitutive du commun
La construction de communs se réalise donc dans une logique d’expérimentation continuée, grâce à la volonté de collectifs autonomes en capacité de concevoir et de vivre une ressource dans les termes d’un commun. La constitution du commun intègre donc substantiellement une politique de l’expérimentation. Cette politique de l’expérimentation est toujours située, ce qui ne veut certainement pas dire qu’elle se restreigne à des intérêts étroits et bornés, et qu’elle n’aurait pas d’autre portée que celle de projets immédiats développés par des communautés autocentrées sur leurs préoccupations. Quand j’évoque le caractère situé d’un travail du commun, je l’entends dans une acception proche de celle de Donna Haraway qui « milite pour les politiques et les épistémologies de la localisation, du positionnement et de la situation, où la partialité, et non l’universalité, est la condition pour faire valoir ses prétentions à la construction d’un savoir rationnel. Ce sont des prétentions qui partent de la vie des gens ; la vue depuis un corps, toujours complexe, contradictoire, structurant et structuré, opposée à la vue d’en haut, depuis nulle part et simple » [6]. Le travail du commun auquel j’aspire est un travail situé au sens où il s’ancre dans l’expérience d’une communauté et où il s’arrime à ce que les personnes concernées ont appris à faire et à voir ensemble. Il n’est pas l’œuvre de citoyens abstraits dont les prétentions, pourtant nécessairement partielles et partiales, prétendent valoir pour tous et pouvoir se généraliser à tous – des prétentions à une généralisation abstraite et désincarnée qui ne fait que traduire, sans réflexion et sans distance, les points de vue les plus usuels et les plus apparents, les plus paresseux aussi, les points de vue qui en imposent « naturellement » car exercés par les majoritaires.
Chaque commun doit être entendu et reçu pour et dans sa singularité et c’est grâce à sa singularité, grâce à son apport spécifique, qu’il contribue à la constitution d’une vie commune élargie, partagée, transversalisée, enrichie. Le travail du commun se réalise de la sorte, de singularité en singularité, expérience après expérience, car il donne alors « une traduction plus juste, plus acceptable, plus riche, du monde, pour y vivre correctement et dans une relation critique et réflexive à nos propres pratiques de domination et à celles des autres ainsi qu’aux parts inégales de privilèges et d’oppression qui constituent toutes les positions » [7]. En refusant les généralisations paresseuses et stérilisantes, en restant fortement en prise avec l’expérience, chaque commun préserve la complexité de sa construction et la multiplicité des interactions, des réseaux, des connexions qui le font exister. De la sorte, il expose une large surface au regard des autres, il laisse ouvert la large palette de ses dimensions et multiplie ainsi les possibilités, il laisse ouvert son horizon et rend possible des rapprochements inattendus, des liaisons plus ou moins dangereuses et des branchements multiples. Si une expérience tente de se diffuser par effet d’abstraction et de généralisation, elle ne fait que restreindre sa surface d’interaction, que limiter ses zones de frictions, que d’assourdir sa chambre d’écho. Un travail du commun doit procéder radicalement à l’inverse. En laissant ouvert le jeu des singularités, il multiplie les prises et les reprises, les emprises et des déprises.
Chaque expérience fait l’expérience de l’autre à sa manière, en fonction d’une sensibilité qui lui est propre. Chaque commun fait l’expérience de l’autre en privilégiant le point de vue qui l’intéresse ou le concerne. Les pratiques se rapportent les unes aux autres par des voies différentes, sous des angles particuliers, en privilégiant une entrée, en favorisant une dimension. Un travail du commun fonctionne alors comme un acteur-réseau [8] où toutes les surfaces, toutes les dimensions, toutes les facettes réservent des opportunités de prolongement et de raccourci, de raccord et de désaccord, de branchement et de court-circuit. En multipliant leurs surfaces d’interaction (i.e. en préservant la richesse, la multidimentionnalité, la complexité des expériences singulières), les communs parviennent à faire trame et texture, à faire trace. Ils s’entrecroisent et s’interpénètrent (partiellement). La constitution du commun s’envisage pour moi comme une toile, un champ de force, un plan de réciprocité, un tissage d’interactions, bien loin d’une architecture institutionnelle verticalisée, unipolaire et délimitée. La constitution du commun n’établit pas de délimitations, encore moins de centralité ; elle possède pour seules limites que celles des interactions et des maillages qui la portent et la supportent. Nous recourons à la notion de constitution dans une acception proche de celle de Michel Foucault : « il s’agit de retrouver quelque chose qui a donc consistance et situation historique ; qui n’est pas tant de l’ordre de la loi, que de l’ordre de la force ; qui n’est pas tellement de l’ordre de l’écrit que de l’ordre de l’équilibre. Quelque chose qui est une constitution, mais presque comme l’entendraient les médecins, c’est-à-dire : rapport de force, équilibre et jeux de proportions, dissymétrie stable, inégalité congruente » [9].
Une autre façon de caractériser cette réalité contextualisée, ancrée et située d’un travail du commun, c’est de la rapporter à la dynamique micrologique qui l’anime et à la tension micro / macro qui lui est consubstantielle. Souvent les expériences micrologiques ne sont pas considérées à leur juste mesure ; elles sont jugées de trop petite échelle et de trop modeste envergure. Les arts de faire commun sur un mode micropolitique sont pourtant à mes yeux décisifs.
L’art de faire commun sur un mode micrologique
Toute expérience endosse simultanément une portée micrologique et une portée macrologique. Elle se déplace constamment d’un plan macro à un plan micro. Ce mouvement de bascule (d’un plan à l’autre) provoque une mise à distance à l’intérieur même de la situation. Micro et macro, loin de s’exclure ou de s’opposer terme à terme, s’interpellent réciproquement, se mettent en question l’un l’autre. En changeant fréquemment de plan, en glissant d’une logique à l’autre, une expérience incorpore donc, dans son mouvement même, plusieurs points de vue, plusieurs éclairages. Macro et micro introduisent deux écritures possibles d’une situation et appellent donc une double question : que nous dit la situation dans son écriture macrologique (les rapports sociaux de genre, de classe ou de génération qui la travaillent) et dans son écriture micrologique (les interactions, coopérations ou collégialités qui la constituent) ?
Entre micro et macro, ainsi que l’argumente Gilles Deleuze [10], la différence ne tient pas principalement à une question de taille, au sens où les micro-dispositifs concerneraient des expériences de moindre envergure. Mettre en avant exclusivement une dimension d’échelle pour les opposer terme à terme ne s’avère pas particulièrement pertinent, pas plus que d’assimiler le macro au modèle stratégique et renvoyer le micro au modèle tactique. Ces diverses tentatives pour distinguer sur un mode binaire le micro et le macro les enferment dans un face-à-face réducteur. Ni spécifiquement différence de taille, ni d’échelle, le micro et le macro se distinguent avant tout par une différence d’entrée en existence, une différence dans la manière, pour une expérience, de construire son existence. Micro et macro représentent deux constitutions possibles pour une même réalité.
Une même action montera en existence parfois sur un mode micro, parfois sur un mode macro. Chacun de ces niveaux contribue à la dynamique de l’expérience commune selon sa visée propre. Par exemple, à n’importe quel moment, une contradiction globale liée à l’expression du rapport social (de travail, de savoir, de sexe…) est susceptible d’émerger dans le cours ordinaire des activités et de les perturber. Inversement, même dans un contexte lourdement contraint par des normes sociales ou des programmations, peut survenir un événement qui resingularise la situation et ravive l’expérience vécue. Macro et micro surgissent inévitablement, en toute occasion, encore faut-il accepter de les entendre – d’entendre le rapport genré, par exemple, qui affecte les prises de parole dans un collectif ou entendre le bruissement de la vie qui insiste au cœur des institutions les plus normalisatrices.
Quel est l’apport spécifique des approches micro, des micrologies ? Elles filent très vite à l’essentiel. C’est certainement la meilleure image que nous pouvons donner d’une micrologie : une mise en mouvement vive et incisive qui prend de court les emprises institutionnelles (fonctionnement établi, règles acquises de longue date, idées communément partagées…), qui les déborde ou qui les contourne. Les micrologies font varier l’intensité des situations. Certains porteurs de projet attribuent aux micro-stratégies des qualités qui ne leur correspondent pas véritablement. Ils s’adossent à des conceptions micro avec l’espoir de mieux maîtriser ce qu’ils engagent. En fait, ils qualifient leur démarche de micro parce qu’ils la voudraient simple. La dénomination est trompeuse. Ils sont tentés de miniaturiser les questions qui se posent comme si en les faisant petites ou en les formulant petitement, ils les maîtrisaient mieux. Ils sacrifient la globalité du processus avec l’espoir ainsi de s’acquitter d’autant plus facilement des questions qui se posent. Le micro n’est pourtant ni un succédané du réel, ni son amenuisement.
À l’inverse de ces approches appauvrissantes et réductionnistes, nous pouvons considérer que l’expérimentation micrologique possède une portée éminemment constituante (structurante) car elle desserre l’emprise des rapports institués, non pour construire un rapport simplifié (apaisé) aux situations mais, au contraire, afin de les investir plus directement, plus intensément, sans se laisser ralentir par des prises de pouvoir trop lourdement normalisatrices. Le micro est bien un plan sur lequel l’expérience accélère, s’intensifie, et se ménage ainsi un accès rapide aux questions les plus stratégiques : le rapport homme / femme dans la distribution de la parole lors d’une réunion, la disqualification hiérarchisante des pratiques et des usages au sein de l’espace public, l’invisibilisation des cultures minoritaires… À cette échelle micro, l’action laisse entrevoir ce que les rapports sociaux réservent de plus durci et de plus oppressif. Le micro représente un entraperçu, une sorte d’instantané de la société, dans ce qu’elle inclut comme structuration d’ensemble.
Dans une micropolitique de l’expérimentation, le « commun » agit à la fois de l’intérieur et à l’opposé de ce qu’est la réalité institutionnelle dominante. Il conjugue une puissance antagonique (disjonctive) et une puissance constituante (affirmative). Le commun est donc un contre-pouvoir qui se détermine à même la réalité à laquelle il s’affronte ; nous pourrions tout aussi bien parler de contre-expérience ou de contre-existence tant cette forme d’antagonisme s’alimente à des forces « positives ». Le travail du commun nous éloigne de la conception classique des contre-pouvoirs qui tirent leur énergie (et leur raison d’être) du rapport en négatif qu’ils entretiennent avec leur contexte institutionnel. Rien de tel dans le travail du commun ; sa force, il la tient des processus qu’il est susceptible d’amorcer. Sa montée en puissance se module en fonction de l’intensité (vécue, éprouvée) de ses créations et de ses expérimentations. L’expérience du commun est une forme de radicalité essentiellement « positive », directement indexée sur la créativité qu’elle est capable d’impulser. Sa faculté d’opposition et de contradiction ne lui parvient pas du dehors (en tant que reflet inversé de la réalité dominante) mais se construit, par l’intérieur et de l’intérieur, pas à pas, sous la forme de coopérations et d’alliances d’acteurs, par l’exploration de nouveaux agencements de vie (partage, rencontre), grâce à la co-existence de multiples singularités.
À un niveau micro, le travail du commun gagne donc en intensité et en portée, même s’il perd (peut-être) en envergure. La logique micro procède plutôt par démultiplication et dissémination (montée en latéralité) que par globalisation (montée en généralité). Elle correspond à un choix de mobilité et de réactivité avec l’espoir, à terme, de provoquer des fissures, de frayer des ouvertures, d’entailler les situations.
La constitution du commun par montée en latéralité des expériences
Souvent la transmission des expériences est conçue sur le mode d’une montée en généralité au sens où chaque collectif d’acteurs devrait parvenir à dégager – à extraire – de son expérience certaines problématiques de portée plus universelle, de dimension plus macro, qui pourraient, dès lors, se transmettre et se partager. Pour ma part, je me méfie de ce détour supposé obligé par le « haut » et par le plus général pour assurer une transmission. Je crains que cette démarche ne fasse violence aux expériences, qui devraient en quelque sorte extirper d’elles-mêmes une réalité généralisable et, en conséquence, laisser dans l’incommunicable une part significative, voire essentielle, de ce qu’elles auront développé en mode micro. Faute de tirer bénéfice de la multiplicité des expériences, le travail du commun s’en trouverait alors amoindri intellectuellement, et politiquement atrophié.
Ce qui me préoccupe dans ces schémas habituels de transmission, c’est qu’à aucun moment ne sont énoncés les critères de la généralisation, à savoir les facteurs à prendre en compte pour faire la part des choses, la part entre le macro et le micro, entre le généralisable et l’irréductible singularité. Cette ligne de partage est rarement abordée en tant que telle. Et pourtant, si nous suivons les analyses de Jacques Rancière [11], il s’agit d’une question politique tout à fait centrale. Qui décide, et comment, de ce qui est généralisable ou non, de ce qui peut franchir les limites de l’expérience (le conçu) et de ce qui restera confiné dans le vécu, de ce qui est audible et de ce qui est tenu au silence ? Bien qu’ils ne soient pas énoncés précisément, ces critères politiques qui déterminent la part et l’absence de part, pour le dire dans les termes de Rancière, n’en sont pas moins très agissants. Le fait de ne pas les expliciter nous expose à réitérer passivement, en mode macro, les critères les plus convenus, les plus conservateurs, ceux qui fonctionnent comme des évidences. Au pire, dans une société où le temps et la disponibilité deviennent une ressource rare, nous serons conduits à ne communiquer paresseusement que les aspects les plus facilement formalisables de l’expérience en laissant de côté nombre d’aspects qui ne deviennent accessibles que par un effort exigeant d’élaboration et d’énonciation.
La question de la transmission relève d’un enjeu politique décisif pour la constitution du commun. À l’encontre d’une montée en généralité trop systématique, il est possible, en mode plus micro, de développer des formes de montée en latéralité en favorisant la capacité des communs – chacun très singulier – à trouver le chemin de leur expression, à se confronter les uns aux autres et à se mettre démocratiquement en risque les uns en regard des autres. Cette montée en latéralité – autre manière de le formuler : cette transmission transversale – suppose l’existence de micro-espaces publics et démocratiques où les expériences communes pourront se partager (énonciation) et où elles pourront se discuter et se délibérer (élaboration). Les enjeux de transmission nous renvoient donc à la nécessaire constitution de multiples scènes démocratiques car un « commun » ne circule pas d’un acteur à un autre, sur un mode direct et immédiat, il se partage au sein d’un espace qui fait médiation et qui régule démocratiquement les interactions. Ce sont les conditions à réunir pour que la part de singularité de chaque commun soit préservée et puisse se communiquer, pour qu’elle ne soit pas invisibilisée par des approches trop massives et des problématisations systématiquement englobantes. Nous retenons donc l’hypothèse d’une transmission qui se réalise en mode latéral, sur un même plan d’immanence, et qui favorise, de la sorte, la circulation et la dissémination des expériences en sauvegardant ce qu’elles incorporent de plus intensément vécu. L’expérience ne doit donc pas « filer » trop vite vers le général, et le global, si elle veut interagir avec d’autres pratiques et alimenter notre réflexion commune. Cette montée en latéralité favorise l’intercompréhension entre « communs », entre des expériences de coopération très hétérogènes, qui s’engagent dans des lieux parfois fort éloignés les uns des autres et avec des sensibilités souvent très différentes. Chaque « commun » tient solidement sa singularité, il ne la (re)lâche pas et il la préserve suffisamment longtemps pour que cet apport qualitatif parvienne à se faire entendre et à se faire reconnaître. Il faut du temps pour que les expériences se repèrent entre elles, s’identifient réciproquement, se rencontrent effectivement et parviennent alors à apprendre les unes des autres. En effet, un réseau de préservation des semences paysannes et une communauté de logiciel libre, une expérience artistique de co-création et une recherche collaborative ont d’évidence beaucoup à apprendre les uns des autres, les unes des autres, tant sur le plan de leurs modes de fonctionnement (coopération, mutualisation), de leur ambition démocratique (rapport égalitaire des expériences et des savoirs), que des enjeux politiques qu’elles partagent (pratique en open source, opposition à la privatisation du vivant, lutte contre les nouvelles enclosures). En ce sens, une politique du commun s’apparente à une politique d’amitiés entre communs.
Une articulation égalitaire des expériences
Les communs ne convergent pas naturellement, car chaque expérience construit son caractère commun par un effort irréductible de singularisation ; en effet, comme l’écrit David Bollier, chaque commun s’origine dans la volonté d’une communauté de gérer une ressource (une réalité) comme un commun. Chaque expérience est située, et c’est en raison de son caractère ancré et incorporé – campé au sein d’une communauté et placé dans une perspective spécifique – qu’elle existe en tant que commun. Les communs sont hétérogènes. Leur articulation n’a rien de spontané, sauf à ériger le « commun » en nouvelle autorité surplombante, en récit qui surdétermine tous les autres, ou en l’instaurant comme le léviathan du temps présent. En matière de commun, l’agitprop ne nous sera pas d’un grand secours. Il ne suffira pas qu’une nouvelle avant-garde signe le manifeste qui déciderait d’un changement de période. « Commun » ne peut pas devenir le maître-mot – le mot d’ordre – ordonnant l’ensemble des communs.
« Commun » relève d’une toute autre méthodologie politique. Il se développe inévitablement par effet de démultiplication et de dissémination – une démultiplication des expériences en une grande diversité de domaines et leur dissémination sur l’ensemble du champ social. Pour autant, elles ne restent pas insensibles les unes aux autres. Aucune ne reste imperméable à l’apport des autres. Des savoirs s’échangent et se confrontent. Des questions et des enjeux transitent entre expériences. L’interpénétration et l’interconnaissance sont dès à présent effectives. Comment cette articulation parvient-elle à se réaliser ? Comment chaque expérience de « commun » nous devient-elle commune ?
À la suite d’Yves Citton [12], je porterai d’abord mon attention sur la mise en récit et sur l’importance de renouer avec cette compétence collective. Le récit est un vecteur privilégié de la transmission car il ne dissocie jamais le vécu du conçu, le perçu du pensé… Le récit se conçoit comme l’art de raconter une histoire et de la scénariser, en s’efforçant d’accrocher l’attention et de susciter l’intérêt. Il vise, par un effort de storytelling, à articuler entre eux des aspects significatifs d’une expérience et de les présenter de manière « inspirante » (pour la réflexion) et « mobilisante » (pour l’action). Chaque récit fonctionne comme une sorte d’intercalaire qui se glisse entre les expérimentations des uns et des autres et facilite le passage de l’une à l’autre. La transmission des expériences n’opère donc pas par le haut, par l’entremise d’un récit universalisant qui ordonnerait les réalités à partir d’une visée transcendante, souvent péremptoire, mais sur un mode latéral [13] par l’interpellation réciproque des actions entre elles, chacune introduisant à la lecture de l’autre, chacune sollicitant l’interprétation de l’autre. Cette capacité de transmission suppose une double vigilance : à la fois une vigilance sur les conditions socio-politiques de l’énonciation afin d’assurer la pluralité des prises de parole ; à la fois une vigilance sur les dispositions « méthodologiques » (qui relève aussi d’une « méthode politique ») retenues par le collectif afin d’éviter les paroles impérieuses et de préserver une réelle disponibilité d’écoute, à savoir la capacité à accueillir ce que l’expérience dit effectivement par son récit.
Le récit est donc un opérateur majeur de cette ambition démocratique que représente la montée en latéralité du commun sur le mode d’une entrée en rapport des expériences et sur leur interpénétration / intercompréhension. Du « commun » voit le jour à cette occasion ; un commun qui n’est pas édicté au nom d’un projet transcendant et d’un intérêt supérieur mais un commun qui se « découvre » à travers l’enchaînement des expériences. Ce « commun » se découvre car l’on fait l’effort de venir le chercher. Il se découvre car il se laisse entrevoir au détour des échanges, y compris de manière inattendue. Le travail du commun prend alors la forme d’un cycle vertueux où chaque découverte en appelle d’autres… Transmettre, c’est prendre le risque démocratique de « découvrir » une expérience et de le faire au risque de nombreux malentendus et incompréhensions, sans garantie qu’il existe préalablement un fond commun facilitant la communication. Ce fond commun ne peut être présupposé, il prendra forme, il émergera, en cours d’échange sur le mode d’une confrontation démocratique des expériences, sur le mode d’une montée en latéralité qui autorise le partage sans effacer le caractère situé et la portée singulière de chaque « commun ».
Je retiens donc comme hypothèse qu’un travail du commun procède par démultiplication et dissémination et ne s’indexe à aucun point de vue supérieur, à aucun discours universel. Le travail du commun est un processus fondamentalement pluraliste qui s’appuie sur une articulation égalitaire des expériences. Il est clair que la possibilité d’une constitution unifiée du commun est exclue. La diversité des expériences ne peut être ramenée à un unique centre de perspective à partir duquel l’ensemble des réalités pourrait être embrassé. À ce point de mon argumentation, je rejoins la thèse d’Ernesto Laclau et Chantal Mouffe. « Le discours de la démocratie radicale n’est plus le discours de l’universel ; la niche épistémologique d’où parlaient les classes et les sujets universels a été éliminée, et remplacée par une polyphonie de voix, dont chacune construit sa propre identité discursive irréductible. Ce point est décisif : il ne peut y avoir de démocratie radicale et plurielle sans renoncer au discours de l’universel et à son hypothèse implicite d’un point d’accès privilégié à la vérité, qui ne peut être atteint que par un nombre de sujets limité » [14].
Des interdépendances réciproques, des équivalences démocratiques
Les différentes expériences du commun sont parfaitement en capacité de converger. Pour ce faire, elles établissent entre elles des chaînages d’équivalence – des chaînes de sens qui facilitent le passage de l’une à l’autre. Cet enchaînement (démocratique) des communs ne se réalise pas en référence à une norme ou à un idéal qui ferait autorité mais se dessine de manière délibérative par confrontation, empiétement de sens, partage d’information, co-compréhension des processus… Ces équivalences se formulent sur un même plan d’immanence. Elle sont auto-définies de l’intérieur et par l’intérieur de ce processus de mise à l’épreuve réciproque des expériences – ce processus qu’Ernesto Laclau et Chantal Mouffe nomment démocratie plurielle / démocratie radicale. Parmi les équivalences à fort potentiel de convergence, il est possible de citer la logique open source. La plupart des expériences de commun sont attachées à laisser apparentes et accessibles l’ensemble de leur protocoles de conception et de fabrication, que ce soit en open design, dans le cadre des logiciels libres ou en édition scientifique en libre accès [15]. La lutte contre les nouvelles enclosures, en particulier des savoirs, s’affirme aussi comme une des fortes équivalences démocratiques contemporaines qui relie et associe de nombreuses expériences du commun. Des équivalences sont aussi à l’œuvre en matière de quête et conquête d’autonomie, en matière de capacitation collective, de logique de co-création et de co-opération. Le long de ces chaînages de sens et d’équivalences – de traductions, pour le formuler dans des termes apparentés – les expériences situées, radicalement attachées à leur singularité, parviennent à se rapporter les unes aux autres, à se combiner partiellement entre elles et donc à tramer du commun. La constitution du commun se manifeste sous cette forme non verticalisée, sur le mode d’un tissage ou d’un tramage. « Si la tâche d’une démocratie plurielle est l’approfondissement de la révolution démocratique et la construction d’une chaîne d’équivalences entre les diverses luttes démocratiques, cela exige la création de nouvelles positions de sujet qui rendent possible l’articulation entre ces luttes. En effet, elles ne convergent pas spontanément et, pour qu’une équivalence démocratique soit réalisable, un nouveau sens commun est nécessaire, qui transforme l’identité des différents groupes de manière que les revendications de chaque groupe puissent être articulées avec celles des autres selon le principe d’équivalence démocratique. Car il ne s’agit pas d’établir une simple alliance entre des intérêts donnés, mais de modifier l’identité des forces en jeu » [16]. Si j’emboîte le pas à Chantal Mouffe, j’insisterai sur le fait que la mise en équivalence (démocratique) des communs ne laisse aucun d’eux indemne ; chacun est affecté par cette entrée en rapport avec l’autre et en sort significativement transformé. La constitution du commun n’établit pas une dépendance entre des expériences à l’identité inaltérable, immuable, fonctionnant comme autant de petits isolats auto-légitimés et auto-suffisants. La constitution du commun s’établit sous la forme d’une dépendance réciproque entre communs singuliers, chacun étant affecté (positivement) par l’autre, chacun se rehaussant à l’épreuve de l’autre.
La constitution du commun ne se réalise nullement sous une forme apaisée et pacifiée. Elle intègre une authentique confrontation démocratique. Chaque commun est évalué à l’épreuve des autres. Les tensions existent. Le jeu des équivalences et des interdépendances réciproques ne font pas l’économie de controverses. La constitution du commun relève d’une démocratie radicale, plurielle et pluraliste et donc largement débattue et controversée. « Une fois que l’on a ainsi distingué entre antagonisme (rapport à l’ennemi) et agonisme (rapport à l’adversaire), on est en mesure de comprendre pourquoi l’affrontement agonal, loin de représenter un danger pour la démocratie [j’ajouterais pour la constitution du commun], est en réalité sa condition d’existence. La démocratie ne peut, certes, survivre sans certaines formes de consensus – qui doivent porter sur l’adhésion aux valeurs éthico-politiques qui constituent ses principes de légitimité et sur les institutions où elles s’inscrivent – mais elle doit aussi permettre au conflit de s’exprimer et cela requiert la constitution d’identités collectives autour de positions bien différenciées » [17]. Les collectifs qui s’engagent dans la construction d’un commun – i.e. des communautés qui souhaitent gérer une ressource comme un commun – sont pris, conjointement, dans des rapports d’opposition (de l’ordre d’un antagonisme) avec les institutions dominantes (les logiques d’enclosure ou de privatisation du vivant sont bel et bien des logiques ennemies) et dans des conflits et controverses, sur le terrain même du commun, entre acteurs du commun mettant en partage des approches, des méthodes et des objectifs qui peuvent se distinguer significativement (de l’ordre d’un agonisme). La question, par exemple, du rapport aux institutions publiques peut faire débat [18], voire polémique ; de la même façon le niveau d’interpénétration entre le marché et les communs, par exemple en ce qui concerne les logiciels libres, laisse apparaître un large spectre de positions, loin d’être simples à concilier. La vie démocratique du commun / des communs est souvent éprouvante pour les collectifs concernés car ils doivent endosser des conflits sur ces deux plans, sur le plan d’une opposition souvent radicale à l’ordre dominant et sur le plan de controverses inévitables, et indispensables, entre praticiens du commun.
Pascal NICOLAS-LE STRAT, août 2015
[1] Libres savoirs – Les biens communs de la connaissance (Produire collectivement, partager et diffuser les connaissances au XXIe siècle), ouvrage coordonné par l’association Vecam, C&F éd., 2011.
[2] Yves Cohen, Le siècle des chefs – Une histoire transnationale du commandement et de l’autorité (1890-1940), éd. Amsterdam, 2013.
[3] David Bollier, La renaissance des communs – Pour une société de coopération et de partage (Tr. de l’américain par Olivier Petitjean. Préface d’Hervé Le Crosnier), éd. Charles Léopold Mayer, 2014, p. 27.
[4] J’ai discuté cette politique de l’expérimentation dans mes deux ouvrages Expérimentations politiques, Fulenn, 2007 et Moments de l’expérimentation, Fulenn, 2009.
[5] Cette politique de l’expérimentation est assurément en voisinage étroit avec la politique du performatif que formule Judith Butler. Cf. son ouvrage Le pouvoir des mots – Politique du performatif (Tr de l’anglais par Charlotte Nordmann), éd. Amsterdam, 2004.
[6] Donna Haraway, Manifeste cyborg et autres essais (Sciences – Fictions – Féminismes) (Anthologie établie par Laurence Allard, Delphine Gardey et Nathalie Magnan), éd. Exils, 2007, « Savoirs situés : la question de la science dans le féminisme et le privilège de la perspective partielle », p. 126.
[7] Idem, p. 112-113.
[8] Cf. Bruno Latour, Changer de société – Refaire de la sociologie, La Découverte, 2006. « La sociologie de l’acteur-réseau prétend être mieux en mesure de trouver de l’ordre après avoir laissé les acteurs déployer toute la gamme des controverses dans lesquelles ils se trouvent plongés. Tout se passe comme si l’on disait aux acteurs : nous n’allons pas essayer de vous discipliner, de vous faire coller à nos catégories ; nous allons vous laisser déployer vos propres mondes ; ce n’est qu’ensuite que nous vous demanderons d’expliquer comment vous en êtes arrivés à les établir », p. 36.
[9] Michel Foucault, « Il faut défendre la société » (Cours au collège de France, 1976), Gallimard / Seuil, 1997, p. 172.
[10] Gilles Deleuze, Deux régimes de fous (textes et entretiens 1975-1995), Les éd. de Minuit, 2003, p. 113-114.
[11] Jacques Rancière, La mésentente, Galilée, 1995.
[12] Yves Citton, Mythocratie – Storytelling et imaginaire de gauche, éd. Amsterdam, 2010.
[13] Chantal Mouffe écrit : « Le citoyen démocratique n’est aujourd’hui pensable que dans le contexte d’un nouveau type d’articulation entre l’universel et le particulier, sur le mode d’un universalisme qui intègre les diversités, de ce que Merleau-Ponty appelait un universalisme latéral – indiquant que c’est au cœur même du particulier et dans le respect des différences que s’inscrit l’universel », in Le politique et ses enjeux – Pour une démocratie plurielle, La Découverte / M.A.U.S.S., 1994, p. 21.
[14] Ernesto Laclau, Chantal Mouffe, Hégémonie et stratégie socialiste – Vers une politique démocratique radicale (Tr. de l’anglais par Julien Abriel. Préface d’Étienne Balibar), Les solitaires intempestifs, 2009, p. 326-327.
[15] J’ai pour ma part défendu une science sociale open source dans mon livre Quand la sociologie entre dans l’action, Éditions du commun, 2018, chapitre « Libérer les processus. Vers une science sociale open source ».
[16] Chantal Mouffe, op. cit., p. 41.
[17] Idem, p. 14.
[18] Voir, par exemple, la proposition avancée par David Bollier de communs sous garantie publique. « Nombreuses sont les ressources partagées qui se situent à une échelle si vaste qu’il est impossible de les gérer correctement sans intervention des gouvernements. Il s’agit, par exemple, des parcs nationaux, de la recherche scientifique publique, des terres du domaine public, des ondes électromagnétiques ou de l’atmosphère. Ce sont des ressources communes – common-pool ressources – et non des communs proprement dits, parce qu’ils n’ont pas leurs propres commoneurs. (On se souvient que, pour faire des communs, il faut une ressource commune + une communauté de commoneurs + des règles et des normes pour gérer cette ressource) », La renaissance des communs – Pour une société de coopération et de partage, op. cit., p. 146.