Devenir média

À propos de : Olivier BLONDEAU, avec la collaboration de Laurence ALLARD, Devenir Média (L’activisme sur Internet, entre défection et expérimentation), éditions Amsterdam, 2007.

Dans cet ouvrage solidement documenté, Olivier Blondeau, en collaboration avec Laurence Allard, construit l’histoire de l’activisme post-médiatique sur Internet, une histoire du temps présent qui constitue pourtant, dès maintenant, un héritage intellectuel et militant incontournable pour tous ceux qui s’efforcent d’expérimenter un devenir commun, des formes nouvelles de démocratie et d’engagement. Au delà de la documentation que les auteurs ont réuni sur l’activisme du logiciel libre, de la vidéo militante ou encore des licences Creative Commons – et qui représente en soi une contribution importante à l’histoire politique et militante des dix ou quinze dernières années – l’ouvrage fait émerger un authentique corpus politico-méthodologique, une véritable stratégie du faire [1] qui permet à ces activistes de réinventer continuellement les dispositifs socio-techniques indispensables aux formes de vie et d’engagement qu’ils souhaitent partager. C’est ce rapport sans cesse réinvesti entre modes d’engagement (par exemple, une transversalité dans l’échange des connaissances), dispositions techniques (par exemple, les procédures de syndication) et formes de vie (des communautés constituées sur un mode rhizomatique) qui sert de fil conducteur aux auteurs. Cette co-détermination, réciproque et réversible, entre technique, politique et création est au centre des analyses développées dans l’ouvrage.

Olivier Blondeau et Laurence Allard soulignent que les activistes d’Internet, loin de s’enfoncer toujours plus avant dans un univers virtuel, reviennent au contraire vers l’espace public « classique » ; ils regagnent la real life et ils le font à partir de l’outillage technico-politique qu’ils ont expérimenté sur Internet (p. 218 et sq.). À l’encontre de certaines visions abstraites et idéalistes qui prévoyaient une dissociation grandissante entre le cyberespace et la « vie réelle », l’activisme postmédiatique révèle au contraire une étonnante capacité de transposition et de déplacement, en un mot d’acclimatation au sein des différents mouvements sociaux d’un ensemble de propositions techniques et de répertoires d’action préalablement développés sur Internet. Pour preuve de cette évolution, les auteurs portent leur attention sur le renouveau / renouvellement des pratiques de « projection » (p. 222). Les  activistes d’Internet reviennent dans la rue, par exemple aux État-Unis lors de la Convention républicaine d’août-septembre 2003, non pour l’occuper comme telle mais pour la reconfigurer et la resignifier en y implantant des dispositifs de « projection » (urban screen) : des objets « médiatiques » élaborés sur Internet (des vidéos, des jeux, des messages…) sont projetés dans l’espace urbain. Ils font irruption et intrusion. Dès lors, virtuel et réel s’apostrophent et s’affectent réciproquement.

Ces espaces s’avèrent donc parfaitement perméables, à condition bien sûr de les solliciter à partir de dispositifs appropriés (les dispositifs de type urban screen en sont un exemple). Olivier Blondeau et Laurence Allard montrent à quel point les registres d’action déployés sur internet sont susceptibles d’informer en termes nouveaux nos pratiques collectives et nos modes d’engagement. C’est cette ligne de réflexion que nous souhaitons investir à l’occasion de cette Note de lecture : explorer cette perméabilité, prendre la mesure de ce dialogue, tout à la fois politique et technique, apte à se nouer entre espace virtuel et real life, reparcourir avec les auteurs les expérimentations réalisées par les activistes d’internet et, à partir d’elles, ré-interroger et réinformer nos terrains militants habituels. Il s’agit donc, en quelque sorte, de faire droit à l’attente de nombreux activistes du net qui n’ambitionnent pas « de prendre le maquis en s’inventant un territoire autonome dans lequel ils se satisferaient d’être l’avant-garde, mais au contraire de désigner l’espace réel, d’implémenter le résultat de leurs expérimentations dans la vie réelle » (p. 271).

La portée expressive et constituante des dispositifs techniques

Les dispositions techniques et procédurales qui sont retenues, ou inventées, à l’occasion d’un projet en affectent significativement le développement. Les supports, les formats ou les protocoles, loin d’être neutres, contribuent fortement à ordonner et à moduler les pratiques. Cette corrélation est particulièrement manifeste dans les expériences menées sur Internet ; par contre, elle est trop souvent ignorée ou sous-estimée dans d’autres champs socio-politiques. Les auteurs remarquent à cet égard que les organisations militantes classiques éprouvent beaucoup de difficultés pour s’approprier les outils les plus novateurs de l’activisme postmédiatique. Si elles devaient le faire, si elles prenaient le risque de le faire, elles seraient confrontées à un outillage de communication qui fait la part belle à la transitivité et à la transversalité, bien éloignées des conceptions centralistes de la décision et du débat qu’endosse encore couramment ce type d’organisation. Derrière la question de l’outil, se joue en fait la place des collectifs militants, leur mode de subjectivation plus ou moins autonome, plus ou moins assujetti (p. 45). Le dispositif technico-politique de communication fonctionne comme un révélateur et, au-delà, comme un analyseur des rapports de pouvoir liés aux formes de mobilisation ou d’engagement.

Olivier Blondeau et Laurence Allard mettent en lumière l’un des enseignements majeurs de l’activisme sur Internet : la nécessité d’interpeller conjointement support et contenu, format d’énonciation et circulation de la parole, protocoles techniques et constitution des échanges. Il s’agit de prendre la mesure du potentiel expressif et constituant dont est porteur n’importe quel dispositif et, conséquemment, de penser les nouveaux dispositifs en fonction de la finalité et de l’intentionnalité que l’on souhaite leur voir endosser. En ce sens, par exemple, concevoir un logiciel revient à produire une forme à laquelle on associe une perspective et dont on attend, en retour, un impact spécifique sur les pratiques et les échanges. Le hacker assume au plus haut point ce postulat selon lequel exprimer quelque chose, c’est le rendre manifeste dans un code donné, à travers des dispositions sociales et techniques appropriées (p. 19). « Personnage la plupart du temps silencieux du strict point de vue de la voice, il exprime son rapport au monde non pas par le discours, mais par la forme même qu’il donne à son objet » (p. 32).

Nous n’avons pas affaire ici à une dialectique pauvre qui se contenterait de signaler un effet de rétroaction entre support et contenu mais, de façon plus ambitieuse, à un processus qui assume pleinement la portée instauratrice et expressive de ses propres dispositions techniques ou procédurales. L’activisme sur Internet dessine donc une nouvelle problématique de la subjectivité – une subjectivité qui ne se résume pas à la seule intentionnalité de l’auteur, serait-il collectif, mais dont la perspective résulte autant de l’expressivité attachée à un code ou à un procédé que de l’intention immédiate du sujet. Les actions parlent effectivement par l’intermédiaire de leurs propres dispositions techniques et l’initiateur de l’action n’éprouve pas nécessairement le besoin d’afficher bruyamment ses préférences ou ses intentions. C’est peut-être ici que se noue une certaine incompréhension entre les activistes sur Internet et des militants aux pratiques plus classiques : une incompréhension autour du statut accordé à la prise de parole. « L’expérimentation [sur Internet] doit être conçue comme un effort incessant d’invention de formes d’organisation constamment renouvelée. Il ne s’agit donc pas de dessiner un projet de société ou de réformer la démocratie en raffinant ses procédures, l’enjeu est plutôt d’élaborer à travers la technique, dans une perspective très proche des travaux de Dewey, des manières et des formes d’agir ensemble » (p. 372). Sur Internet, prendre la parole suppose d’en créer les conditions techniques et procédurales. Trop souvent, et à tort, les militants des organisations traditionnelles moulent leur prise de parole dans une forme acquise, non interrogée, sans mesurer à quel point elle configure leur parole avant même qu’elle commence à s’exprimer.

En interpellant conjointement support et contenu, les activistes sur Internet ambitionnent d’inscrire au sein même des dispositifs médiatiques existants, en particulier télévisuels, une critique des procédés de production / circulation de l’information, à condition bien sûr que cette critique ne reste pas uniquement spéculative mais qu’elle s’éprouve concrètement et matériellement dans l’expérimentation de nouveaux dispositifs socio-techniques. Le médiactivisme « ne peut [donc] pas se contenter de proposer un usage alternatif des médias exclusivement en termes de contenu mais s’inscrit dans une tradition de réflexion et d’expérimentation sur la technique elle-même, sur son sens et sur ses finalités » (p. 85). Il est illusoire de penser « libérer » l’information, en proposant un contre-modèle, si cette information est maintenue dans les rapports de production et de représentation existants (p. 172). Olivier Blondeau et Laurence Allard mettent en valeur un clivage qui parcourt l’activisme médiatique et qui oppose les tenants d’une culture de la contre-information qui, en se centrant uniquement sur la teneur de l’information en circulation, sous-estiment fortement l’impact des dispositifs proprement dits et ceux qui, au contraire, expérimentent de nouvelles dispositions techniques afin de déconstruire et de resignifier la notion même d’information (p. 95). Dans un cas, la cible restera essentiellement le contenu de l’information au risque de reproduire techniquement et procéduralement le modèle médiatique classique, en continuant en particulier à transformer les gens en spectateur. Dans l’autre, c’est l’ensemble du dispositif qui est réagencé, à la fois dans ses attendus techniques (le mode de production de l’image ou de l’information) et dans ses attendus politiques (la répartition des rôles entre producteurs et usagers). Les images et les informations ne peuvent pas se suffire à elles-mêmes, seraient-elles produites dans une perspective alternative au sein du mouvement social. Cette conception reste prisonnière d’une sacralité de l’image-vérité ou de l’information héroïque, capable à elle seule de transformer la perception d’une réalité; elle fait l’impasse sur l’ensemble des présupposés et finalités incorporés dans les dispositifs eux-mêmes, qui agissent pourtant d’autant plus puissamment qu’ils le font silencieusement.

La crise du régime autorial classique

Il n’est pas réaliste de vouloir affronter la force d’un pouvoir à partir d’un contre-pouvoir similaire tant dans sa forme que dans sa structuration (p. 85). Le travail de subversion suppose de déconstruire également, et en premier lieu, l’architecture même du média dominant, son architecture technico-politique. En ce sens, les activistes sur Internet ont exploré plusieurs procédés pour déstabiliser les routines de la communication.

Les auteurs portent en particulier leur attention sur les pratiques de found footage (p. 110 et sq.) qui consistent à récupérer des images et des sons issus d’œuvres préexistantes auxquels le montage va conférer un sens nouveau. Ce procédé contribue à défaire une illusion, celle de la vérité de l’image : toute séquence vidéo ou documentaire est un assemblage fortement conditionné par son dispositif de production, par son contexte d’énonciation et par l’intention – intentionnelle ou non – de l’auteur ; autrement dit, elle peut signifier tout autre chose pour peu qu’elle soit associée à d’autres images ou qu’elle soit immergée dans un nouvel environnement de sens ou d’action. Les activistes du found footage s’emparent donc des productions existantes et s’attachent à « libèrer » les images ou les informations de leur contexte initial d’énonciation. Ce faisant, ils se livrent à une déconstruction radicale du modèle dominant de production et de diffusion de l’image. Ce procédé a été très fréquemment utilisé lors de la dernière campagne présidentielle américaine afin de démanteler le dispositif de communication politique du candidat républicain. Par exemple, « de nombreux discours de personnalités politiques américaines sont repris et remixés, créant ainsi un effet de répétition, de mise en abyme et, finalement, d’épuisement ». Le found footage peut également consister à « assembler et accoler des images de même nature de façon à signifier non pas autre chose que ce qu’elles disent, mais exactement ce qu’elles montrent et que l’on ne veut pas voir ou ne pas montrer » (p. 112).

Ce travail de déconstruction a un impact autant politique que technique. En effet, ce qui est en ligne de mire, dans cette critique des dispositifs médiatiques dominants, c’est bien la configuration d’un rapport social spécifique, ce rapport social qui oppose créateurs et usagers, qui autorise les uns et disqualifie les autres, qui autonomise la fonction d’auteur et la réserve à certains. Les pratiques de found footage contribuent à mettre en crise le régime autorial classique. « La nouveauté vient du fait que les auteurs eux-mêmes sont en capacité de penser leur réalisation, non seulement comme une oeuvre qui possède son intégrité, son histoire, son univers de sens, c’est-à-dire en tant qu’objet culturel fini, mais aussi comme stock de matériaux pouvant être réutilisé par d’autres » (p. 186). De plus en plus fréquemment, le créateur / acteur sur Internet se situe tour à tour comme « usager » d’une œuvre dont il va s’approprier certaines des composantes (sample) pour les resignifier radicalement, comme « auteur » inscrivant sa réalisation dans un univers de sens qui lui est singulier et, enfin, comme « producteur » d’une matière ou d’un matériau qu’il met librement et explicitement à disposition d’autres. Olivier Blondeau et Laurence Allard précisent, par exemple, que certains musiciens font désormais le choix d’ouvrir leur « code source » en diffusant non seulement la version exécutable de leur œuvre mais aussi les différentes pistes qui la composent pour que d’autres puissent les réutiliser (p. 184). Ils assument donc pleinement la pratique du sampling, en tant que mode de déterritorialisation et de réagencement des compositions.

Plusieurs expérimentations sur Internet contribuent à reformuler ce rapport entre « producteur » et « usager » et, dans la foulée, la fonction autoriale classique – des expérimentations en cours non seulement sur un plan technique mais aussi juridique à travers la démarche très novatrice des licences Creative Commons. « Les licences Creative Commons [sont] des outils qui permettent à des auteurs de contenus culturels ou scientifiques de décider de l’usage que le public peut faire de leurs œuvres. Il s’agit donc de doter les auteurs d’outils juridiques pour qu’ils puissent sortir du dilemme dans lequel ils se débattent entre le contrôle total par le copyright et la supposée anarchie d’Internet » (p. 178-179). A la différence de la philosophie du libre, il ne s’agit pas d’instaurer a priori les conditions d’une liberté autour de critères à respecter (accès au code source, par exemple) mais d’ouvrir un dialogue entre production et usage en permettant de définir, en amont, par l’auteur lui-même, les modalités d’exercice d’un droit d’usage. L’auteur se préoccupe de l’usage de son œuvre dès le moment où il la réalise en définissant, par exemple, un droit de citation et de réemploi. Les licences Creative Commons contribuent donc à libérer l’usage – un usage aujourd’hui complètement encapsulé dans des contraintes juridiques (copyright) ou techniques (mesures de « protection » du type DRM / Digital Right Management empêchant la copie de fichiers). Le public est, par leur intermédiaire, explicitement informé des droits d’usage dont il dispose sur l’œuvre à laquelle il accède (p. 181). Ce type de dispositifs juridico-techniques devient essentiel dans une période où les procédés de copie, de réemploi et de recombinaison se multiplient. Il fonctionne comme une forme de permission que chacun accorde librement à l’autre et, à ce titre, facilite la circulation des savoirs; il inscrit le devenir de ces savoirs dans une perspective commune et partagée.

Le dialogue entre production et usage s’établit donc sur des bases nouvelles. Comme le soulignent Olivier Blondeau et Laurence Allard, personne ne peut désormais se prétendre propriétaire de la transformation sociale, et certainement pas une avant-garde (p. 191). Un des grands intérêts de l’ouvrage est de montrer, dispositif après dispositif, expérience après expérience, à quel point les activistes sur Internet bouleversent les conditions de production et d’usage des savoirs. Chaque expérimentation rehausse cette potentialité en cours d’accomplissement, en recherche d’accomplissement : une capacité quasi indéfinie de mise à disposition (cf. les dispositifs du type P2P qui permettent à une multiplicité d’internautes affiliés à un réseau de partager leurs fichiers et leurs capacités de stockage) associée à une large ouverture des conditions et des modalités d’usage.

De la coopération à la syndication

La démarche méthodologique suivie par les auteurs trouve en quelque sorte son aboutissement dans une discussion, serrée et constructive, qu’ils ouvrent en fin d’ouvrage à propos des thèses sur la coopération développées par Toni Negri. Olivier Blondeau et Laurence Allard tirent les enseignements des expériences contemporaines sur Internet pour interpeller plus globalement nos modes d’association et nos formes d’organisation collective. À leurs yeux, le modèle de la coopération est fortement lié à l’expérience des logiciels libres. Depuis, sur Internet, de nouvelles manières de penser et de construire les agencements collectifs ont vu le jour, en particulier à partir des dispositifs de syndication. En conséquence, les auteurs considèrent qu’il ne faut pas se focaliser sur la notion de coopération et qu’il faut tenir compte de l’émergence d’autres modalités d’agrégation volontaire. « On peut concevoir le logiciel libre comme une forme de production de biens immatériels particulièrement pertinente; il convient pourtant de ne pas en rester à un niveau de généralité qui réifierait la coopération comme nouveau « Grand Récit » de la société postfordiste » (p. 311).

La syndication (par exemple, sous forme de flux RSS) est un procédé par lequel l’éditeur d’un site rend disponible tout ou partie de son contenu qui pourra être publié de manière automatisée sur d’autres sites. Elle accélère donc la mise en commun de contenus et en démultiplie la possibilité. Les informations sont automatiquement transférées sur les sites intéressés en faisant donc l’économie d’un détour par un moteur de recherche.

Un des premiers intérêts de la syndication est d’émanciper les contenus de leur support d’édition (p. 345) ; ils ne sont plus contraints par leur environnement éditorial d’origine. Ils peuvent être repris sur une multiplicité de sites et donc s’agréger à d’autres sources, dans un horizon de sens et d’action à chaque fois différent. Ce qui prime c’est bien le « décisionnisme du lien » (p. 369), c’est-à-dire la capacité des flux et des circulations à assembler des contenus et à les recomposer autant que voulu ou que nécessaire.

Les informations ne sont donc plus émises par une source centralisée mais cheminent en fonction des dispositifs de syndication en place. L’initiative de la diffusion revient donc à la multitude des usagers qui sont en capacité de capter facilement les contenus qui les intéressent et de les agencer de façon autonome. L’usager configure des flux de réception dans une optique qui lui est propre. La syndication matérialise donc ce fonctionnement en rhizome que défendent de nombreux activistes à partir des travaux de Deleuze et Guattari.

Cette circulation rhizomatique peut être renforcée en « attachant à ce contenu (qui peut être du texte, du son, de l’image ou de la vidéo) des méta-données contextuelles, qui spécifient le document en facilitant son utilisation et son traitement (date de création ou de publication, nom du créateur, licence juridique, etc.) » (p. 347). Les dispositifs de syndication offrent donc l’opportunité de resignifier et singulariser sans discontinuer n’importe quel contenu en lui adjoignant de nouvelles spécifications. Ce procédé socio-technique contribue à un changement d’échelle majeur en instaurant une diffusion par reprises, rebonds ou redirections tout en renforçant la singularisation des contenus.

Alors que la coopération suppose, en amont, la détermination d’une répartition ou d’une distribution des activités, la syndication se déploie, toujours en aval, à l’initiative d’un grand nombre de contributeurs sans intention prédéterminée. Autant la coopération suppose une architecturation de son fonctionnement, autant la syndication s’agence et se réagence au fur et à mesure de sa mise en œuvre, en fonction de la singularisation des liens de communication et de leurs entrecroisements. « D’une certaine manière, la coopération, y compris dans la division du travail qu’elle génère, s’assimile encore à l’image du corps et à sa signification fonctionnaliste. La syndication, a contrario, s’inscrit dans une « physiologie » radicalement différente, en ce sens qu’elle échappe à toute tentative d’enfermement dans des organes centralisés, hiérarchisés d’un quelconque corps » (p. 360). La syndication ne fait pas corps, elle ne configure pas un corps collectif. Elle donne chair et matière à des devenirs communs, qui se tracent et se parcourent, se trament et se cristallisent le long des circuits d’information et des trajectoires de savoir.

Pascal NICOLAS-LE STRAT, 2008

[1] À la suite de la distinction que Michel de Certeau établit dans L’invention du quotidien (Tome 1 – Arts de faire) entre tactique et stratégie, les auteurs insistent sur la portée stratégique qu’endossent désormais les pratiques postmédiatiques avec la volonté de se donner un terrain propre afin de connecter les mouvements et capitaliser les expériences (p. 117 et sq.).

[Cette lecture a été publiée sous le titre ‘Puissance d’agir des dispositifs » dans mon livre Moments de l’expérimentation, éd. Fulenn, 2009, p. 137 à 148. En libre accès au format ePub : https://pnls.fr/moments-de-lexperimentation-livre-epub/]