Praxis

Praxis n’est pas le synonyme de pratique. Tous les « faire » n’adoptent pas un régime praxique. Loin s’en faut. Les praxis sont rares. Et chacune a donc beaucoup à nous apprendre.

Pour Cornelius Castoriadis, « la vraie politique, la vraie pédagogie, la vraie médecine, pour autant qu’elles ont jamais existé, appartiennent à la praxis », au sens où chacune d’elles « vise le développement de l’autonomie comme fin et utilise à cette fin l’autonomie comme moyen ». Une praxis suppose donc un lien indéfectible « entre ce qui est visé (le développement de l’autonomie) et ce par quoi il est visé (l’exercice de cette autonomie) » [1]. Nous élargissons la proposition de l’auteur en y intégrant la recherche-action (et les démarches apparentées : co-recherche, recherche-création, recherche-en coopération…) ; la recherche-action relève, elle aussi, d’une praxis, pour peu, évidemment, que les chercheur·es concerné·es tiennent cette ambition et inscrivent fermement leur pratique dans une visée d’autonomie et d’émancipation impliquant l’ensemble des personnes associées. Pour le plaisir de paraphraser Castoriadis, nous considérons donc que « la vraie recherche appartient à la praxis », pour autant que nous la fassions exister en ces termes.

Cornelius Castoriadis met au cœur du régime praxique la quête et la conquête d’une autonomie, à savoir le développement d’une capacité collective à s’auto-organiser et, conséquemment, à créer le plus librement et explicitement possible les institutions (les dispositifs et les dispositions) appropriées à l’expérience engagée. Il s’agit là d’un marqueur décisif. « La tentative de fondation d’une philosophie de la praxis par Castoriadis semble trouver sa réponse dans la notion d’institution, plus précisément d’auto-institution de la société en tant que production consciente des normes, des valeurs et des repères devant régir la société. L’auto-institution est autonomie en ce sens précis qu’elle est l’acte de se donner à soi-même, de manière pleinement explicite, les règles de son ordre et de son agir. Pour Castoriadis dès lors, le problème de la révolution n’est autre que celui du passage de l’hétéronomie – en tant qu’auto-institution déniée, notamment par le biais de l’invocation de « lois naturelles » ou de « lois économiques » incontournables – à l’autonomie comprise comme réappropriation par la société de l’origine des lois et volonté explicite de se donner des règles dont elle se sait pleinement responsable » [2]. Ce qui importe donc, centralement, dans et pour une expérience praxique, c’est le caractère assumé, explicite et revendiquée de cet effort d’auto-organisation et de création de règles et, corrélativement, la capacité éduquée collectivement d’expliciter ces enjeux, de les délibérer et de les conscientiser. « Pour moi, la praxis est une modalité du faire humain (et nullement identique à celui-ci). C’est l’activité qui considère autrui comme être pouvant être autonome et tente de l’aider à accéder à son autonomie. Autrui est pris ici au sens large, il m’inclut moi-même comme « objet » de mon activité. Comme telle, elle est le propre non pas des êtres humains en général, mais de la subjectivité réfléchissante et délibérante. Donc la praxis n’a pas et ne peut pas avoir sa fin en elle-même […] : elle vise une certaine transformation de son « objet » (humain) » [3].

Ces propositions formulées en généralité peuvent, tout aussi bien, et possiblement beaucoup mieux, se décliner en mode micro, au plus près d’une expérience, en prise forte avec les aspirations et les nécessités d’une pratique singulière. C’est l’ambition, par exemple, que portent dans leurs classes les enseignant·es praticien·nes d’une pédagogie coopérative et d’une pédagogie institutionnelle. Pierre Johan Laffitte leur a consacré un ouvrage, et j’ai beaucoup appris, à sa lecture, sur la praxis dans ses visées pratiques. Comme l’auteur le souligne, « ce qui caractérise la pédagogie institutionnelle, c’est la possibilité pour le collectif de changer ou de créer des institutions en réponse aux besoins ressentis et aux demandes exprimées. Importance des institutions instituantes comme le Conseil de coopérative. Le mot institution n’est pas, pour nous, synonyme d’établissement. Nous appelons aussi institution ce qui, collectivement, s’institue dans nos coopératives. La simple règle qui permet d’utiliser le savon sans se quereller est déjà une institution ». Cette dernière incise pourrait valoir pour tous nos collectifs de travail et, à elle seule, justifier le bien-fondé d’un fonctionnement en régime praxique. S’organiser, en conscience, de manière autonome pour « utiliser le savon sans se quereller ». Nos laboratoires à l’Université, par exemple, trouveraient là une riche inspiration. En pédagogie coopérative et institutionnelle, nombreux sont les exemples d’institutions internes à la classe qui attestent que chaque fonctionnement fait sens pour tous et pour chacun : des lieux de parole libre, la reconnaissance par le groupe des capacités propres à chacune et chacun (les ceintures), un conseil coopératif qui instaure les règles et valeurs en d’authentiques œuvres communes, des correspondances et des journaux qui favorisent une riche vie sociale… « Une institution est un outil jouant à hauteur de praxis ».

En pédagogie coopérative, la classe est richement équipée démocratiquement ; c’est ce qui en signe la valeur praxique. « Comment fonder une école du peuple qui soit aussi une école des enfants, où les conditions de travail soient manipulées et maîtrisées au quotidien par ses praticiens, c’est-à-dire autant les enfants que l’adulte ? Un groupe qui organise ses conditions de vie et de travail et qui en est le seul maître, à l’exclusion de toute hiérarchie. Ce que je décris ici, ce n’est rien de moins que ce que Marx appelait une praxis. Fernand Oury et Célestin Freinet ont inventé la praxis pédagogique [pour reprendre le titre d’un ouvrage de Francis Imbert] : le lieu où les enfants et les enseignants sont les véritables sujets de leur histoire. Cette histoire a beau être celle d’un groupe à l’échelle et à la durée de vie réduites, il ne s’agit pas moins d’une histoire réelle. La praxis est le terrain historique et réel où une politique et une éthique peuvent se déployer, se risquer, parfois échouer » [4].

Une expérience se vit authentiquement comme praxis dès lors que les sujets concernés, sans discrimination d’âge, de statut, de condition, se dotent librement (de manière explicite, réfléchie et délibérée) des dispositifs et des dispositions les plus adaptées à leurs besoins et projets, et qu’ils ne se laissent pas imposer des fonctionnement supposés évidents, naturels, allant-de-soi. Une praxis ne s’en laisse jamais compter. Elle sait ne pouvoir compter que sur elle, que sur la puissance de ses institutions instituantes, que sur les règles qu’elle risque et les valeurs qu’elle expérimente. Elle s’indexe sur la dynamique même de ses processus (instituants). Elle s’articule sur les formes qui émergent de la pratique elle-même. Elle ne connaît pas d’autre « plan de réalisation » que celui de son exercice, que celui du faire-se-faisant, et elle réfute toute injonction, toute autorité, tout savoir donneur de leçon. En régime praxique, rien ne fait « vérité » s’il n’a pas été éprouvé dans le mouvement même de l’expérience, en associant l’ensemble des sujets qui coopèrent à son développement sur un mode égalitaire. Ce qui ne signifie pas qu’elle s’isole, aucunement.

Une praxis ne se suffit évidemment pas à elle-même et ne s’enferme pas dans ses propres motifs. Elle est autonome, et non auto-suffisante. Elle sollicite et mobilise des apports autres, en grand nombre, extérieurs au milieu concerné (un quartier, une salle de classe, une communauté de pratique), mais elle le fait sans se soumettre à eux, sans se laisser intimider par une légitimité ordonné à un statut (les institutions dominantes) ou par l’évidence d’une pratique majoritaire (le supposé « bon sens ») et sans s’inféoder à des savoirs et des normes verticalisés, s’exerçant en domination, prétendant faire autorité au nom d’une accréditation institutionnelle ou d’une habitude « naturalisée » établie comme évidence. Elle intègre des apports extérieurs (par exemple, les acquis d’une autre expérience ou les apports des sciences sociales) mais elle le fait toujours « à sa main » (praxique), sur un mode singulier, en les soumettant au feu de l’action, en les éprouvant dans la vie quotidienne, en vérifiant leur bien-fondé au fil des jours, des événements et de la rude insistance des situations ordinaires et, finalement, en les cabossant autant que besoin afin qu’elles se logent dans l’existant, y prennent leurs marques et finissent par s’y acclimater.

L’expérience des pédagogies coopératives et institutionnelles éclairent deux enjeux d’importance, que je tiens particulièrement à souligner.

Une praxis ne fonctionne pas comme isolat ; elle existe comme lieu singulier et, en tant que « lieu », reste largement ouverte aux rencontres. Ainsi que l’énonce Jean Oury, « exister, travailler à régime praxique, c’est « greffer de l’ouvert ». Greffer de l’ouvert pour éviter que se referment nos positions, nos attitudes, nos consciences sur ce qui, si l’on n’y prend garde, s’installe comme une routine « allant de soi » » [5]. Mais cette rencontre doit elle aussi se réaliser à régime praxique. À nouveau, Pierre Johan Laffitte instruit notre réflexion en soulignant « la radicale immanence qui règne au sein de chaque praxis, et entre les praxis. Aucune hiérarchie ne saurait régner entre deux praxis, aucune supériorité établissant la transcendance statutaire d’un niveau intégrant supérieur par rapport à un rang intégré (prononces « inférieur », voire « primaire »). Certes deux (ou plusieurs) praxis peuvent s’influencer mutuellement, on peut établir entre elles des antériorités logiques ou d’expérience. [… Mais], partant, la rencontre entre deux praxis constituera une ouverture réciproque, qui n’est rien d’autre que la continuation en acte du régime praxique quotidien, interne à la vie de chacune de ces praxis. La rencontre entre deux praxis crée une nouvelle praxis : la praxis de leur rencontre […]. Il ne faudrait pas croire en effet que, pour se rencontrer, les praxis aient besoin d’être mises en rapport par une entité hiérarchique supérieure qui régirait leurs existences, qui les intégrerait dans une même logique – ce serait la première étape d’une confiscation de leur liberté, de leur pouvoir, de leur responsabilité » [6].

Il s’agit là d’un enseignement majeur pour une pratique de recherche qui revendique sa qualité de « praxis ». Il est au cœur de la conception de la recherche-action que nous défendons avec Louis Staritzky, et il joue à triple détente.

D’une part, il s’agit, pour nous, de vivre et développer collectivement notre propre pratique de recherche comme une authentique praxis, à savoir comme une pratique qui se rapporte, avant tout, librement à elle-même, sans se laisser encloisonner dans des périmètres institués essentiellement pour contrôler (des disciplines) ou assigner à des formes et formats contraints, appauvris et appauvrissants, en déniant au faire-recherche sa capacité à expérimenter. Le faire-recherche, conçu et vécu comme praxis, est un faire qui expérimente ses formes au fur et à mesure des nécessités ; il risque sa pratique et invente ses dispositifs et dispositions (ses institutions instituantes) au plus près des situations. En régime praxique, la recherche construit ses propres méthodes et théories, sans se laisser intimider ou contraindre par une quelconque autorité extérieure, et elle le fait avec pour seule justification leur pertinence pour l’effort de connaissance engagé et leur justesse par rapport aux situations questionnées et investiguées. J’ai tenté de l’argumenter et de l’illustrer à l’occasion de la rédaction de « chroniques d’activité », réunies désormais en livre [7].

En deuxième détente, on peut souligner qu’une recherche-action, elle même praxis, lorsqu’elle s’engage au sein d’une communauté ou d’un quartier, commence par reconnaître et légitimer la qualité praxique de l’expérience des personnes concernées. La praxis de recherche s’adresse à une (autre) praxis. C’est un postulat non seulement fondamental sur un plan éthique et politique, dans un souci démocratique, mais, surtout, fondateur pour la dynamique de recherche elle-même. La recherche-action amorce son travail en interpellant les pratiques existantes – celles développées au sein d’un quartier, d’une communauté de vie, d’une salle de classe, d’un collectif professionnel – sur le plan de leur valeur et de leur portée praxiques, cette qualité serait-elle juste esquissée, encore intimidée par des fonctionnements dominants ou brutalement ignorée et invisibilisée, les personnes concernées en auraient-elles conscience ou pas, la revendiquant ou non, la développant explicitement ou insuffisamment. Cet acte de reconnaissance est aussi un acte de réparation, de soin ou d’encouragement, parfois même un acte de restauration tant les pratiques sont sèchement abîmées par les fonctionnements dominants (autoritaires, verticaux, discriminatoires, masculinistes…). Il s’agit en fait, pour les chercheurs et chercheuses embarqué·es dans l’aventure, d’attester une « évidence », à savoir que les personnes ont éduqué une réflexivité à l’occasion de leurs activités, que collectivement elles ont instauré des formes singulières d’échange et d’organisation, qu’elles ont expérimenté des manières de faire et qu’elles en ont tiré des enseignements, qu’elles ont appris au fil de leurs tentatives et que leur collégialité constitue un véritable gisement de possibles, sur le plan du faire et du penser. La recherche-action commence par porter attention à ces qualités praxiques, par leur porter soin et, tendanciellement, de contribuer à leur maturation et à leur déploiement, en renforçant la confiance en soi et la capacité à faire en commun de la communauté concernée. La qualité praxique des pratiques, en tant que possible, en tant que potentiel, en tant qu’advenir, est un présupposé dans notre conception de la recherche-action ; ce que Louis Staritzky synthétise en ces termes : « J’ai pris l’habitude, en arrivant dans des lieux où nous étions appelés pour mettre en place une recherche-action dans le cadre d’une expérimentation en cours, de dire que la recherche avait déjà commencé avant notre arrivée. Il ne s’agit absolument pas d’un faux-semblant, mais d’une méthode pour que le collectif puisse visibiliser et s’approprier les gestes de recherche qu’il a spontanément développés. De cette manière nous disons que nos recherches démarrent toujours par le milieu, au cœur d’un faire recherche qui est déjà enclenché, et que l’on nous invite à rejoindre à partir de nos singularités (nos manières de voir, de documenter, de caractériser, d’expliciter, de collectiviser, de coopérer…). En tant que praticien de la recherche-action, notre premier geste doit donc être de porter attention, de prendre soin et de valoriser ces démarches qui précèdent notre arrivée » [8].

Enfin, en troisième détente, il convient de prendre en compte que cette rencontre entre praxis fonctionne donc, elle aussi, en régime praxique ; la rencontre constitue une expérience à part entière, profitable, par un jeu de réciprocité, à l’ensemble des actrices et acteurs impliquées, chercheuses et chercheurs compris. Au cours de cette rencontre de recherche, les praxis engagées se portent bénéfice réciproquement ; elles apprennent ensemble, elles apprennent réciproquement et elles « grandissent » donc en cheminant de concert. La rencontre se constitue en fait comme le « lieu » de la recherche. La recherche se développe depuis cette expérience singulière que représente la rencontre de ces deux praxis, la praxis d’une petite collégialité de chercheurs et chercheuses accrédités et la praxis inhérente à la communauté engagée dans la dynamique de recherche. Je pourrais radicaliser le propos en considérant qu’on ne fait pas recherche dans un quartier, une école, un centre social mais qu’on le fait depuis la rencontre avec les praxis propres à ces « lieux ». L’endroit de la recherche est bel et bien cet espace-temps de la rencontre. Pour que les praxis entrent en relation et en échange, encore faut-il éviter que les chercheuses et les chercheurs assomment la situation avec leurs outils et méthodes, envahissent le contexte avec leurs orientations et programmes et, en fait, assignent les autres à leurs intentions (leurs hypothèses et leurs obsessions disciplinaires). C’est ce qui me conduit à dire que j’engage mon travail de chercheur sans préalables, sans méthode et sans programme afin de laisser vivre l’expérience, afin de permettre à la rencontre de « rendre » ses possibles, afin de préserver la capacité d’imagination et de création née du dialogue entre actrices et acteurs d’horizons différents, afin de laisser respirer les situations et de permettre aux processus de pensée d’advenir, afin de respecter l’épreuve féconde que représente la rencontre entre deux praxis. Louis Staritzky, pour sa part, déclare qu’il fait recherche sans hypothèse et sans résultat. Le refus du « résultat » est un geste décisif tant les chercheuses et chercheurs sont obnubilé·es par cette injonction académique (au résultat) au point de faire violence aux situations afin de « sortir » de la donnée à tout prix. « Sans résultat » vient signifier fermement que ce qui sera produit et créé ne peut pas être présupposé, et certainement pas dans la forme autoritaire et extractiviste du « résultat », et que ce « produit » et ce « créé » le seront dans la dynamique même du travail, le seront depuis le « lieu » de la rencontre et des possibles qu’elle réserve.

Les pédagogies coopératives et institutionnelles ont instruit mon propos. C’est à l’école de ces expériences que je me suis formé tout au long de l’écriture de cette brève note sur la praxis. Et c’est inspirée par elles que j’éduque un peu mieux ma pratique de chercheur. Je retiens un dernier enseignement. Ces praxis pédagogiques critiques et émancipatrices ont su aussi créer le registre d’écriture et de pensée nécessaire à leur développement. En effet, une praxis c’est tout à la fois, et consubstantiellement, un agir et une pensée (incluant une écriture). En pédagogie coopérative et institutionnelle, les dispositions langagières et intellectuelles qui « grandissent » les pratiques se nomment « monographie » [9]. La monographie est un art de lire les situations (l’analyse des institutions instituantes de la classe, par exemple) et un art de les écrire – un « art de faire » conjointement théorie et pratique, un art que partagent les enseignants et qu’ils cultivent ensemble, au fur et à mesure que des monographies sont élaborées, rédigées et, surtout, discutées. La monographie est tout à la fois un outil pour penser, un outil pour écrire ses doutes, compréhensions, hypothèses, impossibilités et, fondamentalement, un outil pour réfléchir en commun. La monographie écrite est lue. Ce propos paraît trivial. Il ne l’est pas. Combien de lieux et de collectifs dans lesquels la prise d’écriture est empêchée et dans lesquels la lecture de l’autre est systématiquement évitée. Pouvoir écrire (une capacité), pouvoir lire (une disponibilité) et pouvoir être lu (une réciprocité). Une praxis doit « inventer » ce possible ; elle doit trouver un chemin parmi les mots pour parler de ce qui se fait, elle doit découvrir les formes et formats les plus adaptées pour y parvenir. Une praxis c’est aussi fondamentalement une expérience de pensée (une sensibilité, un style, un ton, une musicalité). Et, sur ce terrain aussi, le chercheur doit se montrer particulièrement attentionné et faire preuve d’humilité car les personnes accréditées (légitimées par un statut, par exemple d’universitaire), comme il l’est, ont tendance à parler haut et fort et, finalement, à faire beaucoup de bruit (des méthodes, des hypothèses, des objectifs, des étapes, des échéances…) au détriment d’une attention pour ce qui existe et pour ce qui est pensé dans le « lieu » lui-même, au détriment d’une écoute pour ce qui y est parlé et débattu, au détriment d’une considération pour ce qui s’y réfléchit et s’y écrit (car dans tous les « lieux » existe « une » écriture, même si très souvent elle est silenciée).

Faire recherche, c’est donc œuvrer à une rencontre entre praxis. C’est ce que les pédagogies coopératives et institutionnelles peuvent enseigner à la recherche-action. Et cet apport est réjouissant. Il est heureux de constater que des expériences de champs différents sont néanmoins en capacité de s’informer et de s’éduquer réciproquement.

Pascal NICOLAS-LE STRAT, août 2024

[1] Cornelius Castoriadis, L’institution imaginaire de la société, Éditions du Seuil, 1975, p. 103 et 104.

[2] Hugues Poltier, « De la praxis à l’institution et retour », in Autonomie et autotransformation de la société. La philosophie militante de Cornelius Castoriadis, Librairie Droz, 1989, p. 419.

[3] Cornelius Castoriadis, « Fait et à faire », in Autonomie et autotransformation de la société, idem, p. 494-95.

[4] Pierre Johan Laffitte, Pédagogie et langage (La pédagogie institutionnelle, à la rencontre des sciences du langage et de l’homme), L’Harmattan, 2020, successivement p. 7, p. 48 et p. 209.

[5] Idem, p. 244.

[6] Ibid., p. 251 et 252.

[7] Pascal Nicolas-Le Strat, Faire recherche en commun (Chroniques d’une pratique éprouvée), Éditions du commun, 2024.

[8] Louis Staritzky, Pour une sociologie des tentatives (Faire monde depuis nos vies quotidiennes), Éditions du commun, 2024 p. 49.

[9] J’ai été sensibilisé à cette expérience de pensée et d’écriture singulière que représente la « monographie » à la lecture de René Laffitte et le groupe Vers la Pédagogie Institutionnelle, Mémento de Pédagogie Institutionnelle. Faire de la classe un milieu éducatif, Éditions Matrice, 2000 ; et de Arnaud Dubois, Histoires de la pédagogie institutionnelle. Les monographies, Éditions Champ social, 2019.